“Nous sommes six.” Dit Jirni. “D’habitude, je nous diviserais en groupes de deux pour couvrir plus de terrain sans perdre de temps. Mais…”
Elle regarda longuement l’équipe bizarre avec laquelle elle devait travailler.
Deux jeunes femmes sans réelle expérience de terrain, un mage moyen qui semblait être plus une marionnette politique qu’un atout, deux monstres sauvages sous apparence humaine qui se fichaient éperdument de la tragédie qui se déroulait à l’intérieur de la cité d’Othre, et Manohar.
Elle connaissait son dossier personnel sur le bout des doigts. Jirni devrait consulter un thésaurus pour décrire correctement le dieu de la guérison.
“…Je ne peux pas le quitter des yeux, alors il doit venir avec moi.” Continua-t-elle en attachant Manohar à son poignet.
“Je suis ici en tant qu’assistante de Manohar. J’ai ma place dans votre groupe.” Tista se dirigea vers Jirni.
“Je suis ici en tant que garde du corps. Je vais où elle va.” Lith lui emboîta le pas.
“Ce n’est pas notre affaire !” Dorian commençait à comprendre où le gendarme royal voulait en venir.
“Vous êtes ici pour soutenir l’Association de toutes les manières que nous jugeons nécessaires. Pas pour passer du temps avec votre famille.”
“Je me fiche de ce que vous pensez. Si je ne peux pas la protéger, alors notre accord est rompu et je m’en vais.” Le ton de Lith ne laissait pas de place à la négociation.
“L’armée n’a rien contre le fait que le Ranger Verhen reprenne son service.” Les mots de Kamila mirent le dernier clou dans le cercueil. Dorian la fusilla du regard, conscient que son rôle était de faire valoir les intérêts de l’armée, quitte à saboter la mission.
Si Lith partait, l’équipe perdait l’un de ses trois seuls vrais joueurs et Lady Ernas ne pouvait pas faire grand-chose tout en gardant Manohar. Une fois sorti du laboratoire, il ne serait plus qu’un boulet pour la mission.
“Ce qui me laisse avec une équipe surdimensionnée et deux chiens de poche politiques inutiles.” Soupira Jirni, ce qui fit rougir les deux officiers de liaison d’embarras.
“Je n’ai peut-être pas de pouvoir magique ni d’expérience en tant qu’interrogateur, mais je suis analyste de données depuis près de dix ans.”
“Si vous me donnez accès à l’interconnexion d’Othre, je suis certaine de pouvoir vous fournir les informations dont vous avez besoin d’ici la fin de la journée.” Dit Kamila en faisant référence au réseau magique reliant les amulettes de communication aux différentes archives du Royaume.
Les comptes bancaires, les transferts de fonds, tout ce qui laissait une trace de papier pouvait être consulté à distance grâce à l’interconnexion.
Qu’il s’agisse de banques, de marchands ou de nobles, ils devaient être en mesure d’expliquer chaque centime ou artefact qu’ils possèdaient. Sinon, lors d’une enquête, tout ce qui n’étaient pas justifié étaient confisqué et ajouté au Trésor royal.
C’était l’une des nombreuses raisons pour lesquelles les gendarmes royaux étaient craints.
“A qui rendra tu comptes de tes conclusions en premier ? À moi ou au commandant Berion ?” Les yeux de Jirni ne contenaient ni confiance ni suspicion. Elle se considérait comme un bon juge de caractère, mais il y avait des limites à ce que l’on pouvait apprendre en vérifiant les antécédents d’une personne.
Kamila répondit en tendant à lady Ernas l’amulette de communication de son armée, puis en lui montrant une amulette civile qui ne contenait aucune rune de contact liée à l’armée, hormis celle de Lith.
Jirni fronça les sourcils pendant une fraction de seconde.
“Je me corrige. Il n’y a qu’un seul toutou politique qui ne sert à rien.” Dit-elle en accordant à l’amulette de communication civile de Kamila l’accès à l’interlien et à sa rune de contact avant de lui rendre les deux communicateurs.
“Soit on fait confiance à quelqu’un, soit on ne lui fait pas confiance.” Dit-elle en réponse à son expression surprise.
‘Elle l’a dit en regardant Kamila, mais je suis presque sûre qu’elle s’adressait à moi.’ Pensa Lith.
Sous le regard interrogateur de la gendarme, Dorian ne put que baisser les yeux de honte.
“Je n’ai aucune compétence qui pourrait être utile à l’enquête. ” Admit-il. “Je resterai ici pour coordonner les efforts visant à prouver la théorie du professeur Manohar. S’il se passe quelque chose, je vous le transmettrai.”
“Bien.” Acquiesça Jirni.
“Quatre personnes avancent plus vite que six. Nous devons être fermes, mais faire preuve de tact, sinon les témoins risquent de se tétaniser et de ralentir l’enquête. Cela signifie qu’à moins que vous ne découvriez quelque chose de strictement pertinent pour l’affaire, il vous est interdit de parler. Pas du tout.”
Elle dit cela en jetant un regard à Manohar, dont la série ininterrompue de gaffes sociales était devenue une légende dans tout le royaume.
“Est-ce que je peux être menotté à Tista plutôt qu’à toi, maman… je veux dire, madame ? Cela me donnerait au moins quelque chose d’agréable à regarder pour passer le temps.” Dit Manohar.
“C’est une bonne idée.” La réponse de Jirni donna la chair de poule à Tista. Lady Ernas fouilla dans l’une de ses poches, mais au lieu de la clé des menottes, elle en sortit une oreillette de communication.
“Félicitations, petite. Tu viens d’être adjointe à mon assistant. Je parlerai aux femmes pendant que tu t’occuperas des hommes. Souris beaucoup et répète les mots que je te dis via l’oreillette. Cela nous facilitera grandement la tâche.”
Lith ne put s’empêcher de glousser devant l’expression dépitée de Manohar.
“De guérisseusse à piège à miel. Ce n’est pas la carrière que j’espérais.” Soupira Tista.
Ses mots piquèrent le cœur de Kamila, lui rappelant l’éléphant dans la pièce que seuls Jirni et elle connaissaient.
‘Je ne peux pas laisser les choses s’envenimer plus longtemps. Je dois me décider une fois pour toutes. La carrière ou le respect de soi ?’
Elle était sortie de la pièce sans même dire au revoir. Entre les paroles de Jirni et les réactions de Kamila, la paranoïa de Lith se mettait en place.
Ils s’envolèrent tous les quatre de l’Association vers le manoir de la baronne Izra. Elle faisait partie des témoins de la mort de Sir Rosen et était l’une de ses plus proches amies. La baronne était une femme ronde d’une trentaine d’années.
Elle avait des cheveux roux, des yeux verts et un visage doux parsemé de taches de rousseur que même son maquillage ne parvenait pas à dissimuler. Elle portait une simple robe de satin de soie vert clair, qui mettait en valeur ses yeux et sa peau pâle.
Comme toute personne saine d’esprit, elle était nerveuse face à un gendarme royal. Son sourire était forcé et elle ne pouvait s’empêcher de se tordre les mains.
“En quoi puis-je vous aider, gendarme Ernas ?”
“J’ai besoin d’entendre de votre voix votre souvenir des événements qui ont précédé la mort de Sir Rosen.” Dit Jirni en souriant, essayant de mettre la baronne à l’aise. Elle avait même changé les menottes de Manohar pour le poignet de Lith avant d’entrer dans la maison.
Le cliquetis de la chaîne pendant “l’interrogatoire” pouvait facilement mettre le suspect sur la défensive.
“Il n’y a pas grand-chose à dire.” Elle fit tourner entre ses mains un éventail fait de plumes d’oiseaux exotiques. “Nous étions en train de discuter, surtout des ragots sur nos voisins, quand soudain un pilier bleu est apparu du plafond et s’est abattu sur le pauvre Rosen.”
“Le plus terrible, c’est que nous étions tous morts de peur, alors qu’il souriait et gloussait comme lorsque sa femme acceptait sa demande en mariage. Nous lui avons dit de sortir de là, mais il n’a rien voulu entendre.”
“Le baronnet Sahg a essayé de l’attraper, mais la lumière était aussi solide qu’un mur. Nous n’avons rien pu faire.”
Lith et Tista parcoururent la pièce en utilisant Vision de Vie. Plusieurs matrices faibles couvraient toute la maison. Même avec leur connaissance limitée des formations magiques non combattantes, ils ne trouvèrent rien qui sorte de l’ordinaire.
Ce n’était qu’un ensemble standard de défenses domestiques qu’ils avaient déjà vu d’innombrables fois.