“Je ne suis pas d’accord avec l’utilisation du terme “disparaître”.” Dit Manohar d’un ton indigné.
“Je ne m’enfuis pas comme un enfant gâté, je cherche simplement l’isolement qu’exige un sujet aussi complexe que mes recherches sans fin.”
“Tu es un enfant gâté.” Répondit Jirni en ouvrant les menottes. Manohar avait l’habitude de gesticuler comme un oiseau hystérique pendant qu’il parlait, ce qui faillit lui déboîter l’épaule.
“Sans une surveillance constante, tu enfreindrais plus de lois en une semaine qu’un tueur en série dans toute sa vie. Tu ne remplis jamais tes papiers et tu négliges tes élèves pour poursuivre tes propres objectifs.”
Manohar voulait répondre, mais Jirni lui faisait peur. Il décida qu’il était dans son intérêt de se taire et de se cacher derrière Lith.
“Je sais que tu as dit que tu étais une fan de mon travail, mais c’est plutôt du harcèlement.” Dit Lith en faisant une révérence à Jirni.
“Ne te flatte pas, petit. Cette fois, je suis là pour lui.” Elle rit de la plaisanterie en désignant Manohar.
“Une fois que vous, les génies, aurez trouvé des réponses, ce sera à moi de décider comment poursuivre l’enquête. A partir de maintenant, vous travaillez tous pour moi. Mage Felhorn, expliquez-nous ce qui se passe réellement à Othre.”
“Volontiers.” Dorian s’avança au milieu de la pièce et prit une profonde inspiration pour se calmer. La mort et la folie régnaient dans la pièce, si bien qu’il avait du mal à décider si ce qui le troublait le plus était les cadavres ou les vivants.
A part les deux jeunes femmes, il avait l’impression d’être le seul humain dans la pièce.
“Tout a commencé il y a quelques mois, lorsque les premières caravanes sont arrivées pour échanger des marchandises contre de la nourriture et vice-versa. Au début, le taux de criminalité a grimpé en flèche. Rien d’alarmant puisque la population d’Othre double jusqu’à la fin de l’hiver.”
“Ensuite, les choses se sont aggravées, passant de la routine habituelle à des crimes de nature magique. Des gens peu ou pas doués pour la magie se sont transformés en mages puissants et ont réglé de vieux comptes de la pire des façons.” Il désigna les cadavres sur les échafaudages métalliques.
“Le phénomène est parti de la bordure extérieure et s’est lentement étendu à toute la ville. La seule chose que nous savons, c’est que recevoir ces pouvoirs est une arme à double tranchant. Ils rendent leur détenteur très dangereux, mais en échange, ils meurent lorsqu’ils sont frappés par un sort. ”
“Quel que soit l’élément utilisé, un sort de niveau 1 suffit à les tuer. Alors que nous étions encore en train d’essayer de faire le tri, nos analystes ont signalé que le nombre de personnes disparues avait également augmenté.”
“Il nous a fallu un certain temps pour nous en rendre compte, car la plupart des victimes étaient des étrangers. Lorsque le phénomène a commencé à se produire dans le centre de la ville, les rapports sur les personnes disparues nous ont permis de découvrir que la situation était encore plus grave que nous ne le pensions.”
“Des gens viennent à Othre tous les jours. Nous ne savons pas si nous avons affaire à des dizaines ou à des centaines d’enlèvements.” Dorian était abattu en constatant l’absence de réactions dans la salle.
Tista et Kamila étaient réellement inquiètes, mais les autres semblaient s’ennuyer, comme s’il avait parlé de ses vacances.
“Nous avons réussi à étouffer ces deux problèmes et à empêcher la panique de se répandre, jusqu’à ce que ces choses commencent à apparaître.” Il s’approcha de la civière et retira la couverture qui en cachait le contenu.
C’était un cadavre, mais contrairement aux autres sur les échafaudages, il était complètement desséché. Les orbites étaient vides, le nez était remplacé par deux petits trous dans le crâne, et la peau était tellement étirée que la bouche était déformée en un sourire dément.
“Contrairement aux autres anomalies, ce phénomène est apparu en même temps dans toutes les régions. De plus, dans certains cas, nous avons des témoins, donc au moins nous savons ce qui s’est passé, même si nous n’avons aucune idée du comment ou du pourquoi.”
“L’homme qui se trouve devant vous est, ou mieux, était Sir Rosen Stern, baronnet du Royaume. Il est mort devant plus de vingt invités et chacun d’entre eux a dit la même chose.”
“Un moment, ils avaient une conversation amicale et le moment suivant, un pilier bleu est descendu du ciel et l’a enveloppé. Quand le pilier a disparu, il était devenu comme ça.”
“Fascinant.” Dirent d’une seule voix Jirni, Manohar et Lith en s’approchant du corps.
“Nous n’avons pas pu identifier de schéma dans le timing ou dans les lieux des prétendus meurtres. Tout semble être une pure coïncidence. Notre seule certitude est que chaque fois qu’un pilier de lumière bleue apparaît, quelqu’un meurt.”
“Toutes les victimes appartenaient à la classe moyenne ou à la noblesse, ce qui rend impossible toute dissimulation. D’autant plus que certaines d’entre elles sont mortes devant de nombreux témoins ou dans des lieux très fréquentés.”
Jirni connaissait les substances capables d’induire des hallucinations et les venins qui pouvaient réduire la victime dans un état similaire, elle fouilla donc le corps à la recherche de plaies perforantes.
Lith utilisa toutes ses capacités et celles de Solus pour effectuer un scan complet du corps.
‘Le pilier de lumière du ciel se manifeste lorsqu’une bête magique est sur le point d’évoluer. D’habitude, il est de couleur dorée, alors que le mien était argenté. Je n’en ai jamais vu de bleu. Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ?’ pensa-t-il.
‘Aucune idée.’ Répondit Solus. ‘Il y a une chose étrange, cependant. Le corps est complètement dépourvu de mana. Vérifi-le avec Vision de vie.’
Tout sur Mogar était imprégné de mana. Les rochers, les arbres, même les cadavres. Pourtant, seuls les êtres sensibles développaient un noyau de mana et pouvaient utiliser la magie.
Depuis sa première rencontre avec Kalla, Vision de Vie de Lith était capable de percevoir le mana imprégnant toutes choses sous la forme d’un léger vent de différentes couleurs qu’elles émanaient selon leur nature.
Le vert pour les plantes, le gris pour les pierres, le rouge pour les animaux et le noir pour les morts.
Lith fit mine d’incanter un sort, toucha ses paupières et activa Vision de Vie. Ses yeux brûlants de magie lumineuse révélèrent que les cadavres sur les brancards n’avaient aucun mana. Il n’y avait pas de vent noir.
C’était la chose la plus anormale que Lith ait jamais vue, un vide qu’il ne pouvait même pas commencer à comprendre. Même les Abominations étaient imprégnées de mana.
Manohar lança quelques sorts tout en examinant le corps et au bout d’un moment, ses yeux brillèrent comme ceux d’un enfant regardant ses cadeaux de Noël soigneusement emballés.
“Si je vous ai fait venir, c’est pour résoudre le mystère de ces anomalies. Notre première priorité est de comprendre ce qui a tué Sir Rosen et qui continue de tuer ses pairs”. Poursuivis Dorian.
“Et les autres ?” Kamila savait qu’elle n’était qu’un officier de liaison et qu’elle n’avait aucun rôle actif dans l’enquête. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher d’être scandalisée par une discrimination aussi manifeste.
“Leurs morts sont-elles moins importantes parce qu’ils étaient pauvres ou roturiers ?”
“Non. C’est juste que nous n’avons aucune piste. Un problème que nos diagnosticiens, je l’espère, sauront bientôt corriger.” Dorian dit en faisant une petite révérence à Lith et Manohar, même si après toutes les difficultés qu’il avait rencontrées pour les recruter, il estimait qu’ils ne le méritaient pas.
“Les cas comme celui de sir Rosen sont si particuliers que, selon nos experts, il n’y a que trois explications possibles et elles sont aussi mauvaises l’une que l’autre.”
