the beginning after the end Chapitre 460

Traducteur: Ych
—————

CECILIA

Tandis que je regardais le phénix s’effondrer, son noyau surchargé, le contrecoup l’arrachant de sa conscience, un souvenir qui n’était pas le mien se forma dans mon esprit : un garçon qui courait et riait, ses yeux dépareillés – l’un orange brûlant, l’autre bleu glacial – étincelant de joie et d’émerveillement. Aujourd’hui, ces mêmes yeux mal assortis sont retournés dans sa tête alors qu’il tombe en chute libre.

Je regardais l’enfant de Dame Aurore, il n’y avait aucun doute. Le goût de son mana persistait dans mes sens, créant une sorte de résonance avec le sien. Je pouvais sentir leur connexion, en faisait désormais partie, comme si deux aimants nous reliaient.

Cette connexion s’accompagnait d’émotions qui n’étaient pas non plus les miennes : la protection, le désespoir et une fureur éclatante et brûlante.

Ce ne sont pas mes émotions. J’ai repensé avec amertume à toutes les pensées, les souvenirs et les idées étrangères qui m’avaient été fourrés dans la tête depuis ma réincarnation. Ce n’est pas quelqu’un dont je me soucie.

J’ai pris le contrôle de mes instincts maternels et je les ai étouffés, enterrés.

Khoriax s’est baissé et a attrapé le phénix inconscient par le dos de ses vêtements. Il m’a jeté un regard interrogateur, caché dans les branches fumantes d’un arbre à larges feuilles. J’ai ouvert la bouche pour parler, mais avant que les mots ne me quittent, le monde a éclaté en un enfer de feu.

Les flammes allumées par la bataille rugirent dans le ciel, peignant le monde d’un rouge qui brûlait comme un soleil en train de tomber. L’air brûlait mes poumons, se transformant en fumée et en feu. Mes vêtements fondaient et de petites flammes s’échappaient de la barrière protectrice de mana qui enveloppait mon corps. Même mes sens semblaient brûler sous le gonflement du mana, comme si je regardais le soleil.

J’ai tendu la main vers le mana et j’ai essayé de l’étouffer… mais la volonté qui le contrôlait a résisté et m’a fait reculer.

“Mais… comment ? Qui ?” J’ai sursauté, abasourdi.

Un homme est descendu dans le brasier. Le vent soudain rugissant semblait à peine ébouriffer ses cheveux, tout comme la fumée ne parvenait pas à aveugler ses yeux jaunes.

Les quatre Wraiths survivants faisaient tous face à l’homme, mais ils avaient encore plus de mal à résister aux effets du sort. Ils échangeaient des regards incertains et jetaient des coups d’œil scrutateurs dans les arbres, dans ma direction.

“Serviteurs d’Agrona.” La réverbération de la voix de l’homme m’a soudain indiqué qui il était, son identité étant contenue dans les souvenirs partagés par Dame Aurore. “Votre hostilité dans mon propre domaine ne sera pas tolérée. Cet endroit, et tous ceux qui s’y trouvent, sont sous ma protection”, dit fermement Mordain, du clan Asclepius. “Vous mettez à l’épreuve ma neutralité jurée en attaquant ici. Remettez-moi ce membre de mon clan et partez.”

La faux de Khoriax se reforma dans ses mains, et il appuya la lame contre la gorge de Chul. “On dirait qu’une pluie de phénix s’abat sur nous aujourd’hui. Comme c’est opportun. Arrête de canaliser ce sort maudit et rends-toi, ou j’ouvre la gorge de ce garçon et…”

D’énormes serres de feu se manifestèrent à partir de la chaleur qui brûlait l’atmosphère, s’enroulant autour de Khoriax. Les griffes brûlèrent son mana et sa chair, le réduisant en viande carbonisée avant même qu’il ne puisse crier. Le demi-phénix s’affaissa dans les griffes, indemne.

J’étais toujours caché, mon contrôle du mana m’assurant d’être insensible même à un homme aussi puissant que lui. Je craignais que les Wraiths ne me trahissent, mais les trois autres restaient concentrés sur Mordain, leurs défenses étant renforcées mais ne faisant aucun geste pour attaquer.

Soudain, l’arbre dans lequel je me cachais a été englouti dans un feu que je ne pouvais ni contrôler ni entretenir. Réagissant instinctivement, j’ai sauté en l’air et me suis dégagé des flammes, la peau rouge et douloureuse même sous mon mana protecteur.

“L’héritage…” dit Mordain. Ses yeux jaunes brillants étaient fixés sur moi, ses robes s’envolant autour de lui et se fondant dans la fumée. “Même toi, tu ne peux pas te cacher de moi à l’intérieur de mon propre sort de domaine. Ne teste pas tes limites face à ma patience ici.”

Mon esprit s’embrouille. Je ne savais pas quoi faire. Ce phénix était puissant, son emprise sur le mana était à toute épreuve. Les dragons rodaient encore dans la Clairière des Bêtes, alors même si je parvenais à le vaincre, pourrais-je le faire assez vite pour retourner à ma tâche sans attirer leur attention ?

Ça ne vaut pas la peine de prendre ce risque, me dis-je, en espérant que j’agissais logiquement, comme le ferait Agrona, et non par peur.

“Wraiths, avec moi…”

Soudain, mon corps s’est rigidifié alors qu’une force intérieure s’opposait à mon contrôle. Ma main se leva d’elle-même, s’élançant vers l’avant et libérant une liane en forme de fouet qui s’était enroulée autour de mon poignet.

Le fouet traversa l’espace entre Mordain et moi, un croissant vert qui semblait se déplacer au ralenti. L’extrémité de la liane s’enflamma, parcourant sa surface, noircissant le vert émeraude de sa chair.

Le fouet s’envola en cendres juste à côté de la gorge de Mordain.

Son expression se crispa légèrement, mais il ne bougea pas pour contrer, l’hésitation s’infiltrant sur son visage pendant une fraction de seconde.

Serrant les dents jusqu’à ce qu’elles grincent, je forçai mon corps à se soumettre, brisant la perte de contrôle momentanée, pour ensuite filer et voler à toute vitesse, sortant de la coquille du sort de domaine et retournant dans le ciel bleu et le vent frais.

Qu’est-ce que tu essayais de faire, au nom de Vritra ? grogne-je dans ma tête.

Tessia ne répondit pas immédiatement et je me dépêchai de mettre de la distance entre Mordain et moi. Les trois Wraiths m’ont suivi, poussant jusqu’à leurs limites pour ne pas se laisser distancer.

En regardant par-dessus mon épaule, je me suis rendu compte que le sort de domaine de Mordain était une sphère enveloppant tout ce qu’elle contenait de mana à l’attribut feu pur. À l’intérieur de cette sphère, son propre mana repoussait tout le mana atmosphérique, amplifiant ses sorts et son contrôle tout en diminuant celui de ses ennemis.

Tu pensais qu’il pouvait nous battre – nous tuer, n’est-ce pas ? À l’intérieur de ce terrain infernal qu’il a créé. Réfléchis, veux-tu ? Vraiment, veux-tu vivre ou mourir ? Est-ce que tu le sais au moins ?

‘Non, je ne veux pas mourir ‘, dit doucement Tessia, les premiers mots qu’elle m’adresse depuis qu’elle est entrée à Dicathen. Mais je ne peux pas m’empêcher de me demander si je ne suis pas lâche de ne pas essayer de faire en sorte que cela se produise. Pour blesser Agrona et mettre tout le monde en sécurité – Arthur en securité – tu dois mourir.

Je me suis arrêtée brusquement, un frisson me parcourant l’échine.

Le sort du domaine de Mordain s’est effondré. Pendant un instant, la présence des deux asuras était claire comme de l’eau de roche, puis le mana atmosphérique a semblé engloutir leurs signatures tandis que Mordain et Chul se dissimulaient de moi.

Et pourtant… quelque chose était encore là. Aucun sens de leurs signatures de mana, mais… la résonance que je ressentais maintenant avec Chul ne pouvait pas être si facilement déguisée.

Rassemblant mon propre mana, je poussai une sphère condensée et l’envoyai en avant à la même vitesse que j’avais volé. “Suivez tant que dure le sort, puis retournez auprès des autres et reprenez votre chasse.”

Les trois wraiths m’ont jeté des regards similaires de confusion. Lorsque je leur fis signe de continuer, leur hésitation se brisa et ils filèrent, suivant le soleil miniature qui s’engouffrait à présent dans la canopée de la forêt.

Me glissant sous le couvert des arbres, je commençai à reculer lentement dans la direction où les Wraiths s’étaient battus contre Chul. Le vent transportait une odeur de fumée et de brûlé, et il y avait un flux constant de mana atmosphérique dans le vide laissé par le sort de domaine.

La colère montait en moi : la colère contre moi pour avoir fui Mordain, pour avoir permis à Tessia de prendre le contrôle.

Si ton but était de nous tuer tous les deux, tu aurais dû me laisser mourir pendant mon Intégration, grondai-je à l’elfe en cherchant la résonance.

‘C’était facile pour toi ? Quand tu t’es tuée sur l’épée de Grey ?’ répondit-elle, la voix teintée d’amertume et de regret.

Je me mordis l’intérieur de la joue, veillant à garder mon mana sous contrôle de peur que Mordain ne me détecte.’Je l’ai quand même fait, n’est-ce pas ?’

‘Oui, tu l’as fait. Mais tu l’as fait pour t’échapper, pour fuir ce que tu ne pouvais pas supporter.’ Un silence s’installa avant qu’elle ne reprenne la parole, ses pensées devenant plus confiantes. ‘Je ne voulais pas mourir à l’époque, et je ne veux pas mourir maintenant. Mais j’essaie de faire ce que je peux pour aider, pour me défendre, comme toi.’

‘Ce n’est pas parce que tu connais mes souvenirs que tu sais ce que j’ai vécu,’ m’écriai-je en interrompant ma poursuite. ‘Tu n’as aucune idée de ce que j’ai dû endurer… ou de ce que je suis prête à faire pour que Nico et moi ayons la vie que nous méritons.’

Avec une résolution retrouvée, je pris un moment pour aligner ma signature mana avec le mana ambiant autour de moi et repris la poursuite de Chul, laissant la légère traction de son noyau me guider. J’avançai prudemment, passant discrètement à travers le réseau inférieur de branches, toute ma concentration consciente se concentrant sur cette petite traction au loin.

Soudain, la connexion avec le mana de Chul a été complètement coupée. J’ai ressenti un pic de peur alors que l’adrénaline montait en moi, et j’ai augmenté ma vitesse, visant le dernier endroit où je l’avais senti. Mes pensées commençaient à s’entremêler, mais j’essayai de laisser mon esprit se vider à nouveau, ne me souvenant que de l’endroit où cette tension avait été ressentie avant qu’elle ne soit bloquée.

J’ai ralenti à nouveau en me rapprochant de l’endroit où je pensais l’avoir perdue et je me suis installée dans les racines d’un gigantesque charbonnier à l’écorce argentée.

Il doit être tout près, pensai-je, espérant presque une confirmation réticente de la part de Tessia.

Toute la Clairière des Bêtes résonnait de l’écho de tout le mana qui se déversait entre Epheotus et Dicathen, mais il y avait aussi de multiples sources de magie d’occultation à l’œuvre dans la clairière. À présent, si près de moi, je pouvais sentir les bords d’un tel sort, ou plutôt, plusieurs couches de ce sort. C’était subtil, presque indétectable à dessein. Mais je pouvais voir le mana, sentir la façon dont le sort d’enveloppe se pressait contre les particules atmosphériques, goûter la compression complexe, sentir le soupçon de cet attribut unique qui rendait le mana du phénix différent.

Le sort de Mordain était puissant, il devait l’être. Cela faisait des siècles qu’il cachait son peuple aux yeux d’Agrona Vritra et de Kezess Indrath. Mais ce qui comptait plus que la puissance, c’était le contrôle, et le mien était plus grand que le leur.

J’ai fermé les yeux et j’ai stabilisé ma respiration. Mon propre mana était en parfait équilibre avec l’atmosphère, me cachant de tous ceux qui pourraient, à leur tour, me chercher. Le bois de charbonnier était rugueux et frais contre mon dos. Le parfum riche et fumé de ses feuilles me rappelait celui du thé en train de se préparer. Le vent chargé de mana faisait onduler ses feuilles, qui se frottaient les unes contre les autres avec des échos superposés de doux frottements.

L’arbre respirait. Je pouvais sentir sa vie, son énergie. Les branches s’élevaient haut, très haut dans les airs, se déployant et cherchant le soleil et le mana, tandis que les racines s’enfonçaient profondément dans le sol. C’était presque beau de voir comment l’arbre absorbait le soleil, l’eau et le mana atmosphérique et, même sans noyau, purifiait ce mana pour en faire quelque chose d’autre, quelque chose de nouveau, une forme déviante d’attribut végétal qui lui était propre.

Ce mana s’est répandu dans toute la plante, s’infiltrant dans le sol, se mêlant au mana de l’attribut terre et lui donnant vie et énergie. Je pouvais le sentir dans chaque brindille, chaque feuille et chaque racine. Et les racines de ce bois, comme toutes les autres dans cette partie de la Clairière des Bêtes, semblaient pousser en biais, comme si elles étaient attirées par quelque chose. Elles ne s’étalaient pas uniformément mais étaient tirées dans une seule direction, plongeant plus profondément que tous les autres arbres à proximité.

J’ai laissé mes sens descendre, suivant le mana déviant dans les racines. Elles s’étendaient et s’entrelaçaient, et j’ai senti les sorts d’enveloppement passer devant moi comme un voile qui se sépare, alors que je suivais, aveugle à tout sauf au mana de l’attribut végétal. Tandis que ma conscience se déplaçait au-delà des couches de protection, je sentis soudain à nouveau les signatures de mana spécifiques de Mordain et de Chul, et de bien d’autres encore.

Un sourire en coin se dessina sur mes lèvres tandis que j’essuyais la perle de sueur qui menaçait de rouler dans mon œil.

Tu vois maintenant ? C’était inévitable depuis le début. Ton but, ton destin était d’être le réceptacle de ma réincarnation, pensai-je avec suffisance.

‘Si c’est le cas, j’ai hâte de voir quel sort t’attend, un lâche trop effrayé pour voir la vérité : que tu n’es rien d’autre qu’une arme, un outil de destruction’, a répondu Tessia, d’une voix insupportablement apitoyée. ‘Si ce que tu espères se réalise un jour, je t’assure que ce ne sera pas par une victoire. Ce sera par pitié.’

Mes poings se sont serrés alors que chaque fibre de mon être ne voulait rien de plus que d’éteindre sa présence de mon esprit comme une bougie, mais l’emprise que j’avais sur le mana au-delà du bouclier de Mordain menaçait de se détacher.

Je me concentrai à nouveau sur la tâche à accomplir, laissant mon mana s’infiltrer dans les racines des murs sculptés du sanctuaire des phénix, avançant prudemment comme si je marchais sur une corde raide jusqu’à ce que….

” – faut agiter son noyau, l’encourager à aspirer le mana. Allumez les feux et apportez-moi des cristaux de mana et des élixirs. Tout ce que nous avons !”

C’était la voix de Mordain. Serrée avec une pointe de panique, et non plus la tempête de puissance contrôlée qu’il m’avait montrée auparavant. Une douzaine d’autres conversations ont vibré dans le sol et les racines des arbres de charwood, mais je les ai toutes bloquées, me concentrant uniquement sur Mordain.

” Il est allé trop loin “, dit une autre voix, légèrement rétive et hésitante. “Son noyau puise à peine la mana, et ses membres manquants…”.

“Merci, Avier”, dit Mordain avec fermeté, coupant la seconde voix.

MORDAIN ASCLEPIUS

Avier se réinstalla sur son perchoir pour observer en silence, ses plumes se hérissant légèrement, mais je ne pouvais pas me permettre de lui accorder plus d’attention. J’aurais le temps de faire preuve de gentillesse et de m’excuser plus tard. Après…

Le mana jaillit de mes mains, la chaleur se répandant dans l’air entre Chul et moi. Soleil et Aurore, deux membres de mon clan, m’imitèrent, leur mana se joignant au mien alors que nous cherchions à agiter le noyau de Chul, mais bien que sa peau rougisse sous l’effet de la chaleur, son noyau lui-même restait terne et endormi.

Il ne transformait plus de mana. Même endormi ou inconscient, son noyau aurait dû continuer à aspirer et à purifier le mana pour soutenir son corps physique. Mais il s’était mis dans une situation de contrecoup pendant que son corps était dans un état proche de la mort. Une trop grande partie de son mana avait servi à se soutenir et à se soigner, et il n’en restait plus pour guérir la tension qui en résultait pour son noyau. Comme un cœur qui a cessé de battre, nous devions trouver un moyen de faire circuler à nouveau son mana, sinon…

Jetant un coup d’œil autour de la pièce, j’ai essayé de me souvenir des leçons de ma jeunesse. Cela faisait trop longtemps que l’on n’avait pas eu besoin de moi pour soigner les blessures de la bataille.

Un lit simple était placé au milieu d’une petite chambre dans le nid central du Foyer. À cause de nos efforts et du feu qui brûlait dans la cheminée, il faisait une chaleur étouffante. Je me tenais d’un côté du lit de Chul, tandis que les deux membres de mon clan se tenaient respectivement aux pieds et à sa tête. Avier était perché au sommet d’une étagère fixée au mur sous sa forme de hibou vert, ses grands yeux suivant chacun de nos mouvements.

Chul gisait inconscient sur le lit qui nous séparait. Le reste de son mana avait servi à brûler ses propres blessures, si bien qu’il y avait peu de sang, mais le voir ainsi déchiré, avec sa jambe et son bras en moins, suffisait à faire se serrer douloureusement mon vieux cœur. Lorsque je l’ai laissé partir dans cette bataille avec Arthur, je n’avais jamais envisagé qu’il nous revienne dans cet état.

J’aurais dû être plus prudent, pensai-je avec fatigue. Il y avait plus en jeu que la vie d’un membre du clan. J’avais besoin de Chul, besoin de comprendre ce qu’il avait vu et vécu depuis qu’il avait quitté le Foyer. Il était mes yeux dans le monde pour voir sa forme actuelle, la baguette de sourcier avec laquelle je trouverais la vérité des événements qui se déroulaient sur les deux continents.

Je fermai les yeux et laissai échapper un soupir sincère de vieil homme.

“Re-bonjour, Arthur”, dit Avier, et mes yeux s’ouvrirent en un clin d’œil.

Arthur Leywin se tenait dans l’entrée, fixant avec effroi la forme couchée de Chul. Je ne l’avais pas senti entrer dans le Foyer. Cachant ma surprise, je lui souhaitai la bienvenue. “Quel tour du destin t’amène ici à cet instant ?” demandai-je en l’observant attentivement pour déceler le moindre signe de ses intentions.

“Qu’est-ce qui s’est passé ?” demanda-t-il, apparemment perplexe.

“Je…” Les mots me manquèrent et mon sang-froid se fissura, mon intention de cacher la profonde douleur que je ressentais face à mon propre échec glissant au fur et à mesure que les traits de mon visage tremblaient. “J’ai dû rappeler Chul au Foyer, mais je n’étais pas au courant de la présence de l’Héritage dans la Clairière des Bêtes. Elle l’a attaqué avec un groupe de basilics lessurans – des Wraiths, Je crois qu’ils se nomment ainsi. Tu… es ici juste à temps pour faire tes adieux à Chul. Je ne peux pas le sauver.” Même en prononçant ces mots, j’ai compris qu’ils étaient vrais. Je ne pouvais rien faire d’autre pour l’enfant d’Aurore.

“Pourquoi tu… attends…” Arthur sembla lutter un instant pour donner un sens à ce que j’avais dit. “Comment ça, tu ne peux pas le sauver ? Ces blessures ont l’air graves, c’est sûr, mais c’est un asura… ou au moins à moitié. Il est…” Il s’est soudain tu, son regard transperçant Chul.

Je savais ce qu’il voyait. “Son corps est trop faible et trop blessé pour se maintenir en vie. Avec si peu de mana, non seulement il est horriblement blessé, mais son corps meurt de faim en essayant de guérir. Nous n’avons pas réussi à modifier l’état de son noyau, et aucun des élixirs que nous avons utilisés n’a été correctement absorbé.”

“Le déséquilibre entre la force de son physique et celle de son noyau”, dit doucement Arthur. Ses sourcils se sont pincés et il m’a lancé un regard féroce. “Tu as dit que l’Héritage… c’est elle qui a fait ça ?”

J’ai posé ma main sur le front brûlant de Chul, me souvenant de la sensation de sa volonté battant contre la mienne. Sachant que ce n’était pas le moment de raconter toute l’histoire, je me suis contentée d’acquiescer.

Arthur s’est rapproché de la table. Ses mains étaient serrées en poings fermés à ses côtés. “Il n’aurait pas dû être seul. Il était censé être à Vildorial avec ma sœur…” Ses yeux s’illuminèrent lorsqu’il eut une pensée soudaine et désespérée. “Ellie ! Elle peut manipuler le mana, le pousser directement dans un noyau. Peut-être qu’elle peut…”

J’ai acquiescé, sachant déjà ce qu’il avait l’intention de suggérer. “Bien qu’il soit peu probable de stimuler un noyau aussi affaibli et insensible, j’essaierais volontiers, j’essaierais n’importe quoi, mais… nous n’avons tout simplement pas le temps, Arthur. Le temps que nous la ramenions à Vildorial, Chul sera…”

” Tu dois avoir un moyen de le faire – tu es un phénix, bon sang ! “, s’emporte Arthur, son regard s’aiguisant en une véritable colère. “Pourquoi diable l’as-tu envoyé seul là-bas, Mordain ? À quoi pensais-tu ?”

Je savais qu’il parlait sous l’effet de la peur et de la frustration pour son ami, et je n’ai pas pris ses paroles à cœur, acceptant leur poids et ne ressentant aucune amertume à son égard. Lorsque j’ai parlé, j’ai fait attention à chaque mot, ne souhaitant pas le faire souffrir davantage à ce moment-là. “Je pensais que le besoin était grand, Arthur, mais tu as raison de m’en vouloir. C’est ma propre impatience qui a fait apparaître Chul au grand jour.” Et je sens que ta frustration ne fera que croître au fur et à mesure que tu apprendras tout.

” Les autres asuras “, dit soudain Arthur, sautant sur une autre piste de réflexion. “Les dragons-Kezess auraient sûrement une magie capable de guérir même ces blessures, n’est-ce pas ?”

Je n’ai pas pu empêcher l’expression chagrine qui s’est installée sur mes traits. “Peut-être. Les arts vivum des dragons peuvent être très puissants, mais lorsqu’un asura ne peut plus absorber de mana, même les sorts de guérison ou les élixirs les plus puissants ne peuvent pas faire grand-chose. Il est rare qu’un asura subisse un contrecoup, Arthur. Nous avons suffisamment de mana dans nos noyaux pour l’empêcher dans toutes les situations, sauf les plus désastreuses.”

“Il doit y avoir quelque chose”, dit Arthur en se passant la main dans les cheveux, les yeux inquiets. “Peut-être…” Il a fait quelque chose, une sorte de magie avec son éther que je ne pouvais pas sentir, puis il a commencé à répandre des objets sur le lit à côté de Chul. “J’ai des élixirs, toutes sortes de choses que j’ai ramassées au cours de mes voyages, juste au cas où. Tiens, regarde tout ça. Et ça ?” Il brandit une petite fiole d’un liquide riche, de couleur prune. “Ou ça ?” Sur le matelas se trouvaient trois écailles d’un vert délavé, chacune de la taille d’une coquille de palourde.

Soleil s’est penchée en avant, regardant avec des yeux écarquillés de la pile de trésors à Arthur, puis à moi. Arthur lui a jeté un regard plein d’espoir.

Je me suis déplacé autour de la table pour me tenir à ses côtés, j’ai ramassé les artefacts et je les ai tendus. “Ce n’est pas assez. Loin d’être suffisant, mais tu le sais déjà.”

Il a semblé se dégonfler, prenant les objets et les faisant disparaître à nouveau dans une sorte de stockage dimensionnel. Il m’a cherché des yeux, mais pour trouver ce dont je n’étais pas sûr. Un sens à la mort de Chul, peut-être ? Ou la vérité… et en pensant cela, j’ai réalisé quelque chose.

“Qu’est-ce que tu fais ici ?” J’ai demandé, en espérant que ma voix soit gentille. “Tu ne pouvais pas savoir pour Chul, alors pourquoi es-tu venu ?”

Il a balayé la question d’un revers de main. “Est-ce que ça a vraiment de l’importance maintenant ? C’est… important, mais nous devons d’abord… Ses yeux s’écarquillèrent encore une fois, et il activa à nouveau son stockage dimensionnel. “Elixirs ! J’avais presque oublié qu’il les appelait des élixirs puissants.”

J’ai senti mes sourcils se relever “Il ? Quels élixirs ? Arthur, je…”

J’ai sursauté avant de pouvoir m’en empêcher et j’ai regardé les trois objets qu’il tenait vaguement dans sa main. Faisant un geste rapide mais prudent, j’ai enroulé mes deux mains autour des siennes et j’ai doucement pressé ses doigts pour qu’ils se referment fermement autour des trois perles d’un bleu éclatant.

” Doucement, Arthur, doucement ! ” Son expression était pensive tandis qu’il prenait en compte ma réaction, comme s’il la pesait dans son esprit. “Connais-tu la valeur de ce que tu portes ?”

Arthur me rendit mon regard incertain avec une clarté et un objectif qui me surprirent, même venant de quelqu’un comme lui. “Lorsque j’ai tenté de les donner auparavant, un seigneur asuran a refusé de les prendre parce qu’ils avaient trop de valeur pour être acceptés. Je ne suis pas idiot, Mordain, je sais à quel point ces perles de deuil doivent être précieuses, mais tout ce qui m’importe pour l’instant, c’est de savoir si elles vont l’aider ou non.”

“Qu’est-ce que c’est ?” Demande curieusement Avier, en tournant la tête de côté.

Soleil et Aurore me regardaient également sans comprendre. Jeunes, si jeunes, tous, pensai-je, attristée que ceux qui étaient à ma place ne connaissent plus les Larmes de la Mère… et pourtant hésitant à raconter l’histoire à l’un d’entre eux.

En jetant un coup d’œil à Chul, je pouvais voir le peu de mana qui persistait encore dans son corps se consumer rapidement. Il serait juste de tout dire à Arthur avant d’en accepter un au nom de Chul. Le poids de son sacrifice ne devrait pas être fait par ignorance, mais… Je déglutis lourdement, cherchant dans les yeux d’Arthur la vérité de son intention.

Finalement, j’ai hoché la tête et j’ai pris une seule perle entre deux doigts, la faisant légèrement sortir de la paume d’Arthur. “Je crois que oui, même si je n’en ai pas vu utiliser depuis de très nombreuses années.” Mon attention s’est portée sur Soleil. “Va me chercher le couteau en argent le plus aiguisé. Vite !”

Arthur s’est avancé et s’est penché sur Chul, et une lame d’une vibrante puissance améthyste s’est condensée dans sa main sous la forme d’un poignard. “Je vais le faire. Dis-moi juste ce qu’il faut que je fasse.”

J’ai fait glisser mon doigt le long de la peau brûlante de la poitrine de Chul, au-dessus de son sternum. “Nous devons faire une incision dans son noyau. Ouvrir le noyau lui-même assez largement pour y insérer la perle.”

Il n’y avait ni surprise ni hésitation dans ses manières. Au contraire, il posa une main sur la poitrine de Chul tandis que l’autre guidait gracieusement sa lame conjurée le long du pli au-dessus du sternum de Chul. La lame améthyste sépara la chair, l’os et même l’extérieur durci du noyau aussi simplement que si elle tranchait du pain. Il n’a fallu qu’un seul passage.

En me déplaçant si lentement que c’en était presque douloureux, j’ai fait descendre la sphère bleu vif sous la peau de Chul et je l’ai introduite dans le noyau lui-même. Je me suis éloigné rapidement, et Soleil et Aurore ont fait de même.

Arthur nous a tardivement imités, son regard faisant des allers-retours entre moi et la blessure au sternum de Chul. “Est-ce que ça marche ?”

“Nous le saurons dans un instant. D’ici là, tout ce que nous pouvons faire, c’est attendre.”

Le silence s’est prolongé tandis que nous regardions tous, tout aussi incertains du résultat. La paix et le calme s’installèrent dans la tension profondément enracinée, aidant à la briser. Tout ce qui pouvait être fait l’avait été, et il ne nous restait plus qu’à attendre.

“Tu as dit que… Cecilia avait fait ça ?” demanda Arthur au bout d’une minute ou plus.

” Ses soldats l’ont fait “, expliquai-je, sentant une pointe de colère envahir la paix du moment. “Elle est restée cachée. Je crois que son but était que personne ne découvre sa présence à Dicathen.” J’ai hésité. “Il y avait quelque chose d’étrange dans cette rencontre. Elle… m’a attaqué, mais c’était un faible effort, et elle semblait prise au dépourvu par sa propre tentative. Puis elle s’est enfuie.”

Arthur était silencieux et contemplatif, mais il ne répondit pas.

J’ai réfléchi à tout ce qui s’était passé, à l’invraisemblance de tout cela, de la présence de l’Héritage à l’arrivée d’Arthur avec les perles de deuil. “Dis-moi, Arthur… je dois savoir comment tu es parvenu à avoir ces perles de deuil. Les as-tu volées ? Les as-tu prises de force ? Quelqu’un te les a-t-il offertes en échange ? Si…”

Il prit un air surpris et contrarié, jetant un coup d’œil aux autres phénix et à Avier. “Non ! Veruhn – le seigneur Eccleiah me les a donnés. J’ai supposé qu’il s’agissait d’un cadeau à offrir au clan Matali, mais ils les ont refusés.”

“Je vois”, dis-je, sans vouloir l’interrompre. “Le seigneur Eccleiah… je ne prétendrai pas connaître ses pensées. Pour t’avoir fait don non pas d’une mais de trois choses de ce genre, et sans même t’expliquer ce qu’elles étaient…” Je secouai la tête, ayant du mal à y croire. “Veruhn joue un jeu dangereux. Je suis même surpris que Kezess t’ait permis de quitter Epheotus avec ces objets. Il se passe des choses que je ne comprends pas.”

“Mon seigneur Mordain”, dit Aurora de sa petite voix. Lorsque j’ai regardé dans sa direction, elle a continué. “Qu’est-ce qui fait que ces… perles de deuil ? Qu’est-ce qui les rend si précieuses ?”

“Les larmes de la mère… un rituel de léviathan”. J’ai fait un geste vers Arthur, qui a brandi les deux autres. “Une seule est créée en mille ans, peut-être moins. Il est extrêmement rare qu’un asura meure avant même d’avoir éclos. Une tragédie incroyable.” Ma gorge s’est hérissée, ma voix s’est enroulée. ” Les léviathans… il y a longtemps, ils ont découvert un processus par lequel… ils décomposent le corps du nourrisson mais conservent son noyau.

“Dans le noyau d’un léviathan immature se trouve tout le mana qui devrait former et construire une nouvelle vie, soutenir un enfant pendant qu’il apprend à manipuler le mana pour lui-même. Une vie. C’est ce que contient chaque perle. Une nouvelle vie.”

“Je ne comprends pas ce que cela signifie”, dit Arthur, la voix douce.

“Les perles de deuil sont le plus grand cadeau que le seigneur de la race des léviathans puisse offrir. Il ne les accorde que rarement, et seulement pour atténuer la grande souffrance d’une vie qui doit être vécue, comprends-tu ?” Je sentais ma bouche se courber en un froncement de sourcils de plus en plus profond à chaque mot. “L’histoire d’Epheotus est riche en récits de princes, de rois, de prophètes et de grands héros qui ont été sauvés d’une mort certaine par une perle de deuil. Mais chacun d’entre eux est acheté avec une vie non vécue, un enfant qui n’a pas pu être sauvé. Ce n’est jamais un échange fait à la légère.”

“Trois mille ans de perles de deuil…” marmonne Arthur. Il les a fait rouler doucement, puis les a fait disparaître à nouveau dans son stockage dimensionnel, et j’ai pensé qu’il commençait peut-être à comprendre le poids de sa décision. Il se secoua un peu. ” Ça ne change rien. Je ne sais pas encore ce que le Seigneur Eccleiah veut pour me donner ça, mais quelle que soit leur valeur, si ça peut sauver ce simplet assoiffé de combat de…”

Il s’interrompit tandis qu’une lumière bleue se reflétait dans ses yeux dorés. Le mana commençait à s’écouler de la perle de deuil. Ce n’était qu’un filet d’eau au début, puis un ruisseau. En quelques instants, une rivière de mana se déversa.

Une lumière bleu-blanc, si brillante que j’ai dû détourner le regard, jaillit de l’entaille dans la poitrine de Chul. Elle se répandit hors de lui, bouillonnant sur sa chair avant d’être absorbée à nouveau par ses nombreuses blessures, l’enveloppant d’une lumière liquide de mana pur. Ses blessures se sont refermées, essuyées comme si elles n’avaient été que des taches de sang sur sa peau, puis, lentement, son bras et sa jambe manquants ont commencé à se régénérer.

J’avais du mal à y croire. Le mana d’une naissance, d’une vie, – d’une renaissance. Je savais que Chul serait changé, mais je ne pouvais pas savoir comment. Rajeuni non seulement par ces blessures, mais par une vie entière de croissance et d’usure.

“Je ne l’ai pas senti…” chuchota Arthur. “Comment une telle quantité de mana peut-elle être cachée là-dedans ?”

Sur le lit qui nous sépare, la poitrine de Chul se dilate lentement tandis qu’il prend une profonde inspiration. La tension a disparu de son visage, et le mana a commencé à s’estomper en s’enfonçant dans sa chair, le remplissant à nouveau.

” Son noyau est… réparé “, dit Arthur, la voix tendue.

Mon regard se porta sur son visage, déchiré par des émotions contradictoires. Ses doigts se sont enfoncés dans son propre sternum, appuyant assez fort pour faire blanchir ses jointures, et j’ai compris.

Il s’est raclé la gorge et a tapoté doucement le bras de Chul. “J’ai fait ce que je pouvais, mon frère dans la vengeance. Le reste dépend de toi maintenant.”