Traducteur: TheCounterspell
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« Je vous demande pardon ? » Lith était sidéré.
« Papa ! Combien de fois t’ai-je dit de commencer à expliquer les choses par le début, pas par la fin ! » Keyla a roulé les yeux.
« Oui, oui, ma chérie. Tu vois, quand j’avais l’âge de Jadon, je me suis mariée.
C’était un mariage arrangé, dans le but d’unir les ressources des foyers Lark et Ghishal, à l’époque, nous étions tous les deux en grande difficulté et avions besoin d’un moyen de nous sortir des dettes insensées que nos parents prodigues nous avaient laissées.
L’aspect financier de l’entreprise a été un succès. Grâce à nos rentes combinées et à la vente de certains actifs résiduels, j’ai pu disposer d’un capital suffisant pour investir dans les bonnes entreprises.
Pour faire court, nos familles sont passées de presque sans le sou à deux des plus riches du Marquisat Et c’est là que tout s’est écroulé entre nous. Ma femme, Koya, n’avait jamais été gentille ou adorable avec moi, nous n’étions que des partenaires commerciaux.
Nous n’avons jamais partagé un intérêt ou un idéal commun, mais jusqu’à ce que nous récupérions notre argent, au moins c’était supportable. Après cela, notre mariage n’était qu’une façade, et à part lorsqu’elle me demandait de m’occuper de mes devoirs conjugaux, nous n’avions aucune intimité.
J’ai eu quatre enfants d’elle, après tout, et je les ai même fait tester avec la magie de résonance du sang pour être certain qu’ils étaient bien les miens. Je suis peut-être un peu tête en l’air, mais je ne suis pas si naïf ! »
Jadon et Keyla ont rougi jusqu’aux oreilles.
« Papa ! Trop d’informations ! Tien-t’en aux faits, s’il te plaît. Cette situation est déjà assez embarrassante comme ça, n’ajoute pas de l’huile sur le feu. »
Dit Jadon, mais le comte était inflexible.
« Pour pouvoir nous aider, Lith doit comprendre quel genre de femme nous avons en face de nous, ou bien veux-tu encore sous-estimer ta mère ? »
À ces mots, Jadon baissa les yeux et se rassit. Lith était vraiment intéressé par la magie de résonance du sang, mais il garda ses questions pour plus tard. Les choses étaient déjà assez confuses.
« Où étais-je ? Oh oui. Juste après que nos foyers se soient remis sur pied, Koya est vite devenue agitée. Elle était obsédée par le fait que nous obtenions plus de titres, plus de rentes et plus de terres. Au point qu’elle a pris part aux jeux de pouvoir et aux intrigues de la Cour, essayant de se faire des alliés pour affaiblir nos voisins et s’emparer de leurs terres.
Mais après avoir travaillé dur pendant plus de vingt ans, je me suis contenté de ce que j’avais. Quatre beaux enfants, un foyer riche et prospère, un comté florissant.
Je voulais simplement ralentir les choses et profiter de la vie que j’avais construite, tout en étendant mon pouvoir et mon influence par un travail honnête et dur plutôt que par des combines sournoises.
Bien sûr, elle était furieuse. Tous ses complots étaient inutiles sans mon consentement. Après tout, je n’étais pas marié à sa famille, elle était mariée à la mienne. Et comme j’étais celui qui faisait tout le travail, je gardais la plus grosse part des profits.
À ce moment-là, d’une manière ou d’une autre, nos disputes constantes et notre dépit mutuel ont commencé à affecter nos deux enfants les plus âgés. Je ne sais pas si c’est arrivé parce qu’ils sont nés quand j’étais encore trop occupé pour leur donner les soins et l’attention nécessaires, ou s’ils ont simplement reçu plus du côté de leur mère que du mien. Seuls les dieux le savent.
Mon fils aîné, Lorant, a commencé à prendre son statut de successeur pour acquis. Il a négligé ses devoirs et n’a fait que boire, jouer et courir après les jupes. Mon second fils, Lyka, a toujours été une enfant à problèmes.
Elle n’était jamais contente de ce qu’elle avait. Elle voulait toujours plus de jouets, plus de robes, plus de bijoux. Rien n’était suffisant pour elle. Comme mes disputes constantes avec sa mère continuaient, elle s’est mise en colère contre tout et tout le monde, faisant des crises de rage pour les plus petites choses.
Elle a commancé à battre les domestiques presque quotidiennement, je ne compte plus le nombre de ceux qui se sont enfuis de cette maison à cause d’elle. Entre Lyka et Lorant, c’était comme s’il y avait une compétition pour savoir qui me ferait dépenser plus d’argent chaque mois, en essayant de couvrir leurs méfaits et de dédommager leurs victimes.
J’ai essayé d’envoyer Lorant dans toutes les académies militaires que j’ai pu trouver, en espérant qu’une certaine discipline le remettrait sur le droit chemin, mais il se débrouillait toujours pour être renvoyé avec les honneurs au bout de quelques mois, voire de quelques semaines.
Mon dernier recours a été de lui donner un poste de responsabilité dans la maison, mais soit il n’y allait pas du tout, soit il arrivait ivre mort. Lorsque j’ai découvert qu’il avait commencé non seulement à tromper les jeunes filles avec des promesses de mariage, mais aussi à les prendre de force, j’ai décidé que c’en était assez.
Je l’ai publiquement désavoué, le dépouillant de ses titres et de ses rentes, lui laissant assez d’argent pour mener une vie honnête, s’il cesse de jouer, bien sûr. Je lui ai aussi dit que la prochaine fois qu’il souillerait une fille, il serait jugé comme n’importe quel autre scélérat, et qu’il paierait pour cela. »
À ces mots, Lith a pensé à Orpal pour la première fois depuis plus de trois ans.
Ce connard devrait être loin pour au moins deux ans encore. Peut-être que si je décide de prendre part à cet épisode de la “partie de pique” et que nous survivons, je pourrai demander au comte de le tracer et de l’éliminer pour moi. Ce serait bien. Je déteste les fins inconnu.
Après une courte pause pour prendre un verre d’eau, le comte Lark poursuivit son récit.
« Ma femme était outrée. Pour elle, les crimes de Lorant n’étaient que des ‘farces de gamins’ que nous devions tolérer et pardonner. Mais c’était la maison Lark qu’il traînait dans la boue. C’était mon argent qu’il jetait par les jeux d’argent et les usuriers.
Pour ajouter l’insulte à la blessure, ma réputation était devenue celle d’un noble corrompu et prodigue. Même si, d’une manière ou d’une autre, je n’avais aucune décence ou honneur en moi, comment pouvais-je confier l’œuvre de ma vie à quelqu’un qui la détruirait en moins d’une génération ?
T’ai-je déjà dit pourquoi j’apprécie tant la magie ? C’est parce que les mages et les nobles sont si semblables et pourtant si différents. Ils détiennent tous deux un pouvoir qui leur permet de détruire ou de sauver des vies d’un seul mot, d’influencer leur environnement par leur seule présence.
Je considère la magie comme supérieure, car la puissance d’un mage est le fruit de l’étude et de la discipline, ce qui signifie qu’il connaît et comprend les valeurs de son pouvoir et les conséquences de ses actes.
Les nobles, au contraire, reçoivent ce pouvoir comme un droit de naissance. Ils le prennent pour acquis, et certains vivent toute leur vie en considérant qu’il est parfaitement naturel pour eux d’être supérieurs, une existence supérieure. C’est pourquoi tant d’entre nous finissent par abuser de leur statut et de leur autorité.
Mais je m’égare. Après avoir expulsé Lorant de la famille, Koya ne voulait pas entendre raison, et Lyka non plus. Elle aimait vraiment son frère, et après qu’il ait été mis à la porte, elle est devenue encore plus en colère et violente. »
Les yeux du comte devinrent larmoyants, il dut retirer son monocle pour les frotter avec un mouchoir.
« A tu déjà entendu parler de toutes ces histoires de nobles qui tuent et mutilent des roturiers pour des raisons futiles ? Eh bien, elle s’est avérée être l’incarnation vivante de toutes ces histoires, et quand j’ai découvert ce qu’elle avait fait, le nombre de cadavres dépassait déjà la douzaine !
Je n’ai pas eu d’autre choix que de la renier elle aussi, en implorant la clémence du roi et en perdant au passage une grande partie de mes mérites accumulés. Malgré tout, elle est toujours ma fille.
Ma femme a été amenée au bord de la folie, disant que tout était de ma faute, et elle a donc quitté la maison pour de bon, retournant chez les Ghishals. Au début, je pensais que la séparation lui permettrait de retrouver ses esprits et de revenir.
Au bout d’un moment, cependant, j’ai vraiment apprécié la paix et le calme. J’espérais qu’elle ne reviendrait jamais. Mais ensuite, j’ai découvert qu’elle avait emmené nos enfants reniés avec elle, violant ma confiance et bafouant de manière flagrante la loi du Roi.
A ce moment-là, j’ai demandé l’annulation du mariage, sinon après ma mort, elle pourrait les réintégrer en tant que membres de la famille, voire même en tant qu’héritiers du Comté.
La procédure d’annulation prend un certain temps, mais j’étais certain d’avoir réglé cette question.
Dans les semaines qui ont suivi, j’ai commencé à me sentir faible et fiévreux. Malgré toutes les assurances de mon magicien personnel Genon, je pouvais dire que quelque chose n’allait pas. Aucun rhume n’avait jamais donné une telle sensation ni duré aussi longtemps.
J’ai commencé à sauter mes repas en secret, à ne manger que des fruits que je ramassais moi-même, et devine quoi ? Mes symptômes ont disparu. Ce n’est qu’alors que je me suis souvenu que Genon était du côté de la famille de ma femme. Elle l’avait engagé personnellement, et elle l’avait fait pour plus de la moitié de notre personnel.
Après avoir renvoyé tous ceux qu’elle avait fait venir dans la maison, j’avais espéré être enfin en sécurité, mais ensuite même Keyla et Jadon sont tombés malades. Je n’aurais jamais imaginé qu’elle puisse faire du mal à ses propres enfants, juste parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec elle !
À ce moment-là, j’ai eu un besoin urgent d’une aide magique, mais à qui pouvais-je faire confiance ? Les magiciens compétents sont difficiles à trouver, et à ce stade, je ne fais confiance à personne. Qui sait qui pourrait en fait être envoyé par ma femme ou l’un de ses associés ?
C’est alors que je t’ai envoyé la lettre avec l’aide de mon secrétaire personnel, un homme que je connais et en qui j’ai confiance depuis des décennies.
Je ne pouvais pas demander l’aide de Lady Nerea. Sans elle, tout le district de Lutia s’écroulerait, sans compter que ce serait un signe de faiblesse. Qui confierait un comté à un homme incapable de gérer sa propre maison ?
Nana m’a plus d’une fois assuré que tes talents de guérisseur étaient à la hauteur des siens. De plus, ayant mois-même tué une bête magique, je suis raisonnablement convaincu que tu est déjà plus compétent que Genon, diplômé d’une académie mineure grâce à l’argent de son père. »
Lith ferma les yeux, essayant d’assimiler toutes ces informations d’un coup pour décider de sa prochaine action.
‘Mince ! Je suis dans une impasse.’A t-il pensé. ‘Si je dis non et qu’il survit, je perdrai tout ce que j’ai construit jusqu’ici.’
‘Si je refuse et qu’il meurt, non seulement tous mes efforts pour le transformer en mon commanditaire seront réduits à néant, mais ce Borgia en herbe me donne l’impression d’être quelqu’un qui, après s’être débarrassé de son mari, effacera également toute trace de son existence, y compris la mienne !’
‘A moins qu’elle ne soit sourde, aveugle et muette, elle doit savoir combien le comte a investi en moi. Cela met toute ma famille en danger. Je ne veux surtout pas que ce Lorant s’approche de ma mère et de mes soeurs.’
Se sentant acculé, il n’avait qu’un seul doute.
« Je me considère comme un bon guérisseur et un bon chasseur, votre Seigneurie, mais je ne vois pas comment je peux vous aider. Sauf en vous gardant en sécurité et en bonne santé pour le moment, bien sûr. Mais ce ne serait que gagner du temps. Si vous n’avez pas un moyen de faire céder votre femme, cela pourrait durer des années. »
« Non, rassure-toi, ça ne durera pas. Dès que le mariage sera annulé, elle ne pourra plus exiger quoi que ce soit du ménage Lark.
Sauf erreur de ma part, elle sera alors plongée dans les problèmes causés par nos enfants désavoués et pour avoir violé la loi du Roi en les amenant dans sa famille malgré le fait qu’ils soient marqués comme une honte vivante.
Sa seule issue est de se débarrasser de moi, Keyla, et Jadon. Je rendrais mon testament nul et non avenu, elle resterait la seule héritière en vie, en plus elle pourrait restaurer le statut de Lorant et de Koya.
J’ai juste besoin de toi pour nous garder en vie jusqu’à ce que le roi signe les documents d’annulation. »
L’esprit de Lith tournait à plein régime, consultant Solus pour s’assurer que toutes ses bases étaient couvertes.
« Cela peut être fait. J’ai quelques demandes que je voudrais que votre Seigneurie accepte avant de conclure notre accord. »
D’après leur expression, il était clair qu’ils ne s’attendaient pas à une telle demande, pourtant le comte hocha la tête sans hésitation.
« Pour pouvoir vous protéger, je dois m’installer à l’intérieur de votre maison jusqu’à ce que l’affaire soit résolue, n’est-ce pas ? »
« Mais bien sûr ! C’est pour cela que tu porte les couleurs et l’écusson de la famille. Tes vêtements t’identifient comme l’un de mes assistants personnels, qui n’a d’autre autorité que la mienne et celle de mes enfants. »
‘Bon à savoir.’ Pensa Lith. ‘Cela explique pourquoi Jadon et moi avons des vêtements presque identiques.’
« J’en suis profondément honoré, mais si j’accepte de vous aider, votre femme pourrait aussi s’en prendre à ma famille en représailles. Si je m’installe, je pourrais avoir besoin qu’ils viennent avec moi, pour leur sécurité, et quelqu’un doit s’occuper de la ferme, ou ils n’auront plus rien à leur retour. »
Le comte Lark grimaça.
« Oh Lith, je suis désolé d’avoir douté de ta loyauté. Pendant un moment j’ai cru que tu allait refuser. Tu as raison, j’ai oublié cette éventualité. Je vais les faire venir ici dès que possible. Ils seront aussi mes invités d’honneur. »
« J’enverrai mes métayers s’occuper de votre ferme jusqu’à ce que tout soit réglé. Autre chose ? »
« Oui. Je dois avoir le champ libre dans votre maison. Si votre femme a encore des espions parmi le personnel de la maison, je vais devoir recourir à des moyens désagréables pour les démasquer. On ne peut pas s’attendre à ce qu’ils avouent par pure bonté d’âme. »
Le comte Lark sortit un mouchoir, nettoyant son monocle déjà brillant pour calmer ses nerfs.
« Tu veux dire la torture et les interrogatoires ? Devons-nous vraiment avoir recours à cela ? »
« En dernier recours, oui. Les temps désespérés appellent des mesures désespérées. Cela ne devrait pas être nécessaire. Je peux facilement me déguiser en votre invité tout en gardant un profil bas. Après tout, personne ici ne sait qui je suis, à part le majordome. »
Le comte se mit à tousser bruyamment, Jadon et Keyla se regardèrent, avant de se tourner vers Lith.
« En fait, tout le monde sait qui tu es. » dit Jadon avec un sourire gêné.
« Eh bien, ça ne veut pas dire qu’ils savent ce dont je suis capable. »
Quand il les a vus échanger un autre regard, tandis que le comte continuait à tousser sans arrêt, Lith s’est senti obligé de demander :
« Ils ne savent pas, hein ? »
Keyla se racla la gorge avant de se lever, l’incitant à la suivre.
« Une image vaut plus que mille mots. Je pense que tu dois voir comment tu es représenté dans la Salle des Peintures. »