Traducteur: linkfet
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« J’ai hâte de travailler avec toi. »
Amane n’était normalement jamais la cible du sourire angélique de Mahiru, alors quand elle le lui adressa, il eut envie de gémir.
« … Moi aussi. » Répondit-il d’une voix discrète.
En règle générale, Amane n’approchait jamais Mahiru à l’école, mais il ne pouvait pas y faire grand-chose si c’était elle qui venait vers lui. Toutefois, cette fois, ce n’était pas la faute de Mahiru. Ils s’étaient simplement retrouvés à faire équipe… en tant qu’amis.
Leur cours d’économie domestique allait comporter une activité cuisine dans quelques jours, et les élèves avaient eu la liberté de former leurs propres groupes, ainsi que de choisir les plats qu’ils souhaitaient préparer. Cependant, ils devaient composer un menu en lien avec leurs cours sur la nutrition, et ils seraient notés dessus, alors il fallait prendre l’exercice au sérieux.
Naturellement, beaucoup d’élèves espéraient être dans l’équipe de Mahiru, mais elle avait fait équipe avec sa bonne amie Chitose, et celle-ci avait embarqué son petit ami Itsuki. Amane, qui pensait être en binôme avec Itsuki, avait logiquement suivi, ce qui donnait l’impression, de l’extérieur, qu’il formait un duo avec Mahiru. Cela attirait encore plus les regards, et Amane sentait déjà une migraine se pointer.
Chitose, qui était en quelque sorte la principale responsable, s’amusait à aligner les bureaux pour leur groupe en souriant malicieusement. « Ah-ha-ha ! On dirait que t’as avalé de travers, Amane ! » Se moqua-t-elle.
« Et à ton avis, c’est à cause de qui ? » Répliqua Amane.
Une fois les quatre bureaux rassemblés et tout le monde installé, Mahiru lui adressa un sourire désolé, laissant transparaître un peu d’humanité sous son masque angélique. « Je suis désolée de m’imposer. » Dit-elle avec grâce.
« Non, ce n’est pas ta faute. » Répondit Amane. « Je m’inquiète juste de savoir si je vais survivre aux regards assassins qu’on me lance. »
« C’est tout à fait le genre d’Amane de ne pas comprendre à quel point il est chanceux. » Le sermonna Chitose.
« Je veux juste pas monopoliser toute la chance, c’est tout. »
C’était peut-être son imagination, mais il crut entendre quelques murmures désapprobateurs dans la classe. Tous les garçons rêvaient sûrement de goûter à la cuisine faite main de l’ange, et ils devaient être furieux de voir ce privilège accordé à un type qui ne semblait même pas vraiment le vouloir. Il se sentait visé par des regards pleins de jalousie et d’envie.
« Mais tu sais que je galérerais sans toi, mec… » Ajouta Itsuki. « Et puis, tous les autres groupes sont formés d’amis. »
« Hmm… » Amane ne pouvait pas vraiment contredire ça.
Ce n’était pas un marginal, mais il n’était pas assez populaire ou sociable pour s’incruster dans un autre groupe et s’attendre à ce que ça se passe bien. Il aurait eu du mal à quitter le sien maintenant qu’il s’était formé.
« Allez, accepte ton destin ! » Insista Itsuki. « Si tu râles autant, peut-être qu’on n’aurait jamais dû être amis ! »
« … Je regrette pas d’être ton ami. »
« Oh, tu vas me faire pleurer ! »
« Eurgh, tu sais quoi ? Je commence à le regretter, en fait. » Lança Amane.
Itsuki porta les mains à son visage. « Quelle trahison cruelle ! » Gémit-il d’un ton théâtral, avant d’éclater de rire.
Amane n’était pas particulièrement impressionné par la comédie de son ami. Il commençait à envisager de lui pincer les joues quand il entendit un petit rire mêlé à un soupir.
Mahiru souriait, amusée.
« Je me le suis déjà dit, mais vous êtes vraiment de bons amis, tous les deux. J’en serais presque jalouse. »
« … On peut dire ça. »
Même si elle savait déjà qu’ils étaient proches, Mahiru faisait comme si c’était la première fois qu’elle en parlait. Amane se sentait mal à l’aise de ne pas pouvoir réagir plus naturellement.
Il était reconnaissant qu’elle fasse semblant, mais le fait qu’elle se comporte comme s’ils étaient de parfaits étrangers le mettait à la fois mal à l’aise et un peu frustré.
Chitose avait tout écouté, et avec un sourire, elle tapota l’épaule de Mahiru. « T’as qu’à te joindre à nous, Mahirun ! »
« Eh, arrête un peu. » Réprimanda Amane. « N’essaie pas d’entraîner Shiina dans tes délires. Tu l’embêtes. »
« Non, ce n’est pas du tout le cas. » Assura Mahiru.
« Tu vois ? »
« T’emballe pas trop, Chitose. »
Chitose adorait l’idée de rapprocher Amane et Mahiru. En réalité, elle ne faisait pas que l’approuver : chaque fois qu’elle en avait l’occasion, elle faisait tout pour les pousser l’un vers l’autre. C’était bien quand ils étaient chez Amane, mais à l’école, il voulait éviter d’attirer l’attention.
« Bon, assez bavardé. » Déclara Amane. « Il faut qu’on choisisse notre menu. »
Ils n’avaient pas beaucoup de temps pour se mettre d’accord avant de devoir présenter leur proposition, alors il insista pour décider rapidement, dans l’espoir de faire comprendre à tout le monde qu’il ne ressentait rien de particulier pour Mahiru.
Chitose le regarda d’un air un peu interloqué. « Tu sais pas cuisiner, mais tu veux prendre les commandes ? »
« C’est vexant. » Grogna Amane. « Je sais faire… des omelettes. »
« … Tu peux appeler ça des omelettes, mais ce que tu fais, c’est plutôt des œufs brouillés. » Chuchota Mahiru assez bas pour que seuls leurs deux amis l’entendent, ce qui déclencha un fou rire chez Itsuki et Chitose. Amane, toujours sur ses gardes à cause de l’environnement scolaire, jeta un regard légèrement réprobateur à Mahiru, mais elle n’en était pas du tout perturbée.
Son expression ressemblait trop à son habituel sourire d’ange, et Amane détourna brusquement les yeux. Chitose et Itsuki, voyant sa réaction, se mirent de nouveau à sourire, ce qui le rendit encore plus nerveux.
« Et toi, Akazawa ? » Demanda Mahiru. « Tu te débrouilles en cuisine ? »
« Moi ? … Disons que c’est suffisant pour survivre. »
« Itsuki sait pratiquement tout faire à la maison, tu sais. » Ajouta Chitose.
Itsuki, qui arrivait à peu près à tout dès qu’il s’y mettait sérieusement, savait aussi préparer un repas impeccable. Bien sûr, ce n’était pas aussi bon que la cuisine de Mahiru, mais c’était largement suffisant pour vivre.
« C’est parce que ma mère n’est jamais là, à cause du boulot. Je suis même allé chez Amane de temps en temps pour lui faire à manger. Mais c’est plus le cas maintenant, hein ? »
Itsuki jeta un regard chargé de sens à Amane, qui fronça les sourcils, mais Itsuki se contenta de sourire.
« C’est vrai, je suppose. »
« … Si vous continuez à parler comme ça, tout le monde va finir par voir à quel point je suis nul. »
« Trop tard, mon pote. »
« Il est un peu tard pour ça, non ? »
« Vous êtes trop synchronisés, tous les deux. »
« Hé hé. Bon, maintenant t’as plus à t’inquiéter pour les repas, c’est cool, non ? »
« … H—Hey, je fais des efforts ! » Protesta Amane. « Il m’arrive de cuisiner quand je suis seul… »
Il n’aimait pas tout laisser à Mahiru, donc les week-ends ou quand elle n’était pas là, il faisait de son mieux pour cuisiner quelque chose. Évidemment, il se contentait de recettes simples qu’il pouvait faire au grill ou à la plaque.
Amane était visiblement gêné, et pour une raison inconnue, Mahiru lui adressa un sourire attendri et le félicita. « C’est très admirable. »
Ces mots, simples en apparence, étaient lourds de sens. La joue d’Amane tressaillit.
Elle se moquait probablement un peu de lui, sachant très bien à quel point il galérait en cuisine. Comparé à celle de Mahiru, ses efforts ressemblaient à ceux d’un enfant. Elle devait trouver ça amusant. Mais il s’améliorait petit à petit —au début, il ne savait rien faire— et il voulait que ça se voie.
« Bon, et si on décidait du menu maintenant ? » Proposa Mahiru. « Nos notes en dépendent. »
Sans faire la moindre allusion à l’état d’Amane, Mahiru, toujours avec un doux sourire, tapota la fiche de menu qu’ils devaient remplir pour valider l’exercice.
Mahiru était la meilleure cuisinière du groupe, donc il avait été naturellement convenu qu’elle prenne les commandes. Même si Amane avait appris à faire quelques plats, il restait un amateur, surtout en matière de menus équilibrés. Il était logique de suivre Mahiru. Après tout, c’était elle qui décidait du menu pour le dîner quasiment tous les soirs.
Après un moment de discussion, le groupe opta pour un sanshoku soborodon, un bol de riz garni de viande hachée, d’œufs et de légumes, avec une soupe miso et une salade de nouilles cellophane en accompagnement, et de la gelée d’amande en dessert. Chitose arborait un sourire jusqu’aux oreilles en voyant le menu.
Mahiru avait glissé l’œuf dans le plat, sûrement parce qu’elle savait qu’Amane l’aimait. Chitose et Itsuki le remarquèrent immédiatement, et Amane se cacha derrière sa fiche de menu pour échapper à leurs regards moqueurs.
***
Puis, le jour du cours de cuisine arriva, et Amane poussa un soupir de fatigue.
Il était censé assister Mahiru, mais en réalité, c’était plutôt elle qui le surveillait. Il se tenait près d’elle en la regardant enfiler son tablier, une scène dont il avait l’habitude maintenant.
« Je compte sur toi pour m’aider, d’accord, Fujimiya ? » Dit-elle avec un sourire.
Ce n’était pas une idée de Chitose. Le groupe avait juste décidé qu’Amane était le moins compétent en cuisine. Il avait même un antécédent : il s’était coupé un doigt juste devant Mahiru. Ils avaient donc jugé préférable de lui confier des tâches sans danger.
Il comprenait leur raisonnement, surtout qu’ils voulaient tous éviter les accidents et finir vite, puisque les groupes terminés étaient autorisés à aller déjeuner en priorité. Il n’avait donc pas protesté. Mais il avait tout de même pris soin de déclarer bien fort qu’il « …n’était pas totalement incompétent non plus ».
« … Tu boudes ? » Demanda Mahiru discrètement, une fois les légumes préparés.
Amane, occupé à mesurer les assaisonnements, répondit sans la regarder : « Non, bien sûr que non. Je trouve juste qu’on me juge un peu vite. »
« Personne ne te juge. C’est juste que, bon… euh, on ne peut pas nier que les autres sont plus efficaces. »
« Ça, c’est sûr. »
Inutile de dire que Mahiru savait cuisiner. Amane avait déjà goûté la cuisine d’Itsuki, donc il savait que ce dernier s’en sortait bien aussi. Et tant que Chitose ne faisait pas n’importe quoi avec les assaisonnements, elle s’en tirait plutôt bien. Amane n’était pas complètement incapable, mais il était objectivement moins doué que les trois autres. Il ne pouvait donc pas vraiment les contredire s’ils le taquinaient sur ce point.
« Du coup, je pense que tu ferais mieux de t’occuper de ce que tu sais faire. Et puis, Chitose risque de faire n’importe quoi avec les assaisonnements, donc je préfère te confier ça, Fujimiya… C’est un rôle important, tu sais. »
« C’est une lourde responsabilité… Enfin, c’est ce que je pensais au début, mais au fond, il suffit juste de suivre la recette, non ? »
« Empêcher une surprise signée Chitose avant qu’elle n’arrive, c’est aussi un rôle crucial. »
Mahiru laissa échapper un petit rire, et Amane jeta un coup d’œil à Chitose.
Elle était en train de faire cuire le riz dans une casserole tout en nettoyant le plan de travail après avoir préparé la gelée d’amande avec Itsuki, qu’ils avaient placée au réfrigérateur. Il n’y avait probablement pas de piège dans la gelée.
Chitose n’avait pas un mauvais palais, mais elle avait un goût étrange pour les saveurs extrêmes et les surprises. Itsuki avait donc été chargé de la surveiller pour éviter les accidents. Et puis, ça leur permettait de cuisiner en couple.
Tandis que Mahiru riait doucement, elle sortit les pousses de soja et les carottes cuites de leur panier. Amane, lui, détacha deux ou trois feuilles de papier essuie-tout posées sur le plan de travail.
« Fujimiya ? »
« Oui, j’y vais. »
Mahiru lui tendit les légumes égouttés. Amane les rafraîchit un peu et les tamponna avec les feuilles de papier avant de les verser dans le saladier où il avait déjà préparé les assaisonnements, en y ajoutant les nouilles cellophane rincées, le concombre émincé et le jambon.
Se remémorant les mots rassurants de Mahiru selon lesquels la cuisine n’était pas si difficile tant qu’on respectait les doses et les instructions, Amane suivait la recette à la lettre. La cheffe lui avait confié les tâches les plus simples, donc il n’y avait pas vraiment de quoi être fier.
« Une fois que j’ai ajouté les graines de sésame, je peux mettre ça au frigo, c’est bien ça ? » Demanda-t-il.
« C’est ça, et ensuite… »
« Je mets les nouilles et je sors la viande hachée. »
Le riz était presque cuit, elle devait sans doute prévoir de sortir les bols d’ici peu.
Mahiru le regarda couvrir le saladier de salade de nouilles avec du film plastique et y inscrire le numéro de leur groupe. Apparemment, il avait bien fait, car elle se mit à préparer la poêle sans faire la moindre remarque.
Les légumes pour la soupe miso étaient déjà cuits, il ne restait plus qu’à dissoudre la pâte de miso. Chitose et Itsuki avaient déjà mis la gelée d’amande au frais pour qu’elle prenne, donc il ne restait qu’à préparer les bols de riz.
Prenant soin de ne bousculer personne sur le chemin, Amane échangea la salade de nouilles contre la viande hachée dans le frigo, puis retourna à leur poste de travail.
Sur le chemin, il jeta un coup d’œil en coin aux autres groupes. Certains s’en sortaient bien, d’autres se disputaient. Un des groupes composés uniquement de garçons gaspillait des ingrédients en s’amusant, et le professeur chargé de superviser l’exercice d’autonomie des élèves leur lançait un regard noir.
… Je suis content d’avoir Mahiru avec moi.
Leur groupe avait pu travailler plus efficacement que les autres grâce à la bonne connaissance de Mahiru des gestes en cuisine, mais aussi parce qu’ils avaient choisi un menu pas trop compliqué.
« Plutôt que d’essayer d’impressionner avec un menu difficile, il vaut mieux faire un repas nutritif qui ne prend pas trop de temps. La nourriture, c’est quelque chose qu’on doit préparer tous les jours, donc faut pas se compliquer la vie avec des trucs fatigants, tu vois ? »
Amane lui avait posé la question à la maison, et c’est ainsi qu’elle avait répondu. C’était une façon de penser logique, bien dans le style de Mahiru, qui préparait le dîner tous les soirs pour eux deux.
D’après lui, même ce menu simple demandait pas mal d’efforts pour bien faire les choses, donc ce cours de cuisine lui faisait encore mieux apprécier tout ce que faisait Mahiru.
En réfléchissant sérieusement au fait que les gens qui s’occupent de la cuisine au quotidien devaient vraiment avoir la vie dure, il retourna à leur poste, où Mahiru donnait des consignes à Chitose. Itsuki était introuvable, mais Mahiru comprit ce qu’il se demandait rien qu’à son regard, et lui dit aussitôt : « J’ai demandé à Akazawa d’aller chercher la vaisselle dans l’autre salle. » Elle poursuivit : « Bien, je te confie la viande. »
« Compris ! » Répondit Amane. « Je la fais cuire jusqu’à ce que le jus s’évapore, c’est ça ? »
« Exactement. Merci. »
Mahiru préparait les portions jaunes et vertes du bol de riz tricolore. Elle faisait bouillir de l’eau pour blanchir les épinards tout en cassant et battant les œufs. Elle avait déjà préparé la poêle, ne laissant à Amane que la tâche simple de cuire le mélange de viande et d’assaisonnement.
Pendant qu’elle séchait à la main la casserole qu’elle venait de laver, Chitose observait Amane cuisiner avec un air étonné. « … Je croyais que tu savais pas cuisiner ? »
« J’arrête pas de vous dire que je suis pas complètement nul. C’est juste que j’ai l’air mauvais à côté d’elle, c’est tout. »
Son travail consistait à faire revenir la viande et l’assaisonnement en remuant avec une spatule en bois jusqu’à ce que l’humidité s’évapore. Il trouvait insultant qu’on pense qu’il n’était même pas capable de faire ça. Ce n’était pas comme s’ils préparaient des plats expérimentaux sortis d’un manga.
D’après lui, ce qui faisait rater une recette, c’était surtout une chaleur trop forte, un mauvais timing, ou trop d’ingrédients. Mais là, avec Mahiru comme guide, il n’y avait quasiment aucun risque d’échec.
« Si tu veux tout savoir, j’ai mémorisé la recette pour ne pas être un poids. »
« Comme c’est attentionné, Amane. »
« Bah, si je faisais rien, les autres me regarderaient de travers. »
Il sentait bien qu’ils le fusillaient du regard et imaginait sans mal leurs pensées. (… Il va se goinfrer du repas préparé par l’ange sans rien faire… ?) Alors il voulait quand même faire sa part.
Amane savait parfaitement qu’il n’avait aucun talent naturel pour la cuisine, alors il avait étudié la recette plus sérieusement qu’un manuel scolaire. Mahiru avait même ri de lui à la maison en lui disant qu’il n’avait pas besoin de se prendre autant la tête, mais lui, voulait être prêt, au cas où.
Il vérifia que la viande commençait à dorer et à dégager une bonne odeur sucrée-salée, puis remua bien avec la spatule pour éviter qu’elle ne brûle.
À côté, Mahiru s’occupait des œufs brouillés. Amane se sentait un peu gêné de voir qu’elle en faisait plus que d’habitude parce qu’elle savait qu’il adorait les œufs, mais en même temps, ça lui faisait plaisir qu’elle pense à lui.
« Shiina, je laisse encore un peu ? » Demanda-t-il.
« Oui. » Répondit Mahiru. « Laisse mijoter encore un peu. Mais si tu laisses trop longtemps, ça va sécher, donc enlève-la du feu dans une minute. »
« Mm, d’accord. » Il acquiesça.
La viande avait déjà perdu presque toute son humidité, alors il continuait à remuer pour éviter qu’elle ne brûle, pendant que Mahiru retournait tranquillement à ses tâches sans rien ajouter.
Chitose les regardait depuis le côté, l’air un peu épatée. « … Vous deux, vous êtes, comment dire… On dirait des jeunes ma— »
« Chitose, surveille la soupe miso, s’il te plaît. »
« Aïe, oui cheffe ! »
Chitose poussa un petit cri idiot pour une raison inconnue et alla sortir la soupe miso du frigo.
Amane regarda rapidement Mahiru. « … Il s’est passé un truc ? »
« Absolument rien. »
Elle n’en avait pas l’air, mais comme elle ne semblait pas disposée à lui en dire plus, il abandonna l’idée d’en savoir davantage et éteignit le feu sous la viande.
***
Quand Mahiru eut fini de cuire les œufs, de trancher et d’assaisonner les épinards blanchis, Itsuki revint avec la vaisselle.
« T’en as mis du temps. »
« Ouais, désolé. Y a des gens des autres groupes qui sont venus me parler. »
Itsuki souriait d’un air décontracté, mais son visage ne donnait pas l’impression qu’il plaisantait. Ce n’était pas le genre à fuir ce genre de tâche, donc il avait probablement été vraiment accaparé et n’avait pas réussi à s’éclipser.
On ne savait pas très bien avec qui il avait parlé ni de quoi il avait été question, mais Amane avait le sentiment que cela concernait Mahiru. En son absence, leurs camarades jaloux pouvaient parler librement, et ils avaient probablement adressé leurs reproches à Itsuki à la place d’Amane. Bien sûr, ce n’était qu’une supposition, il n’en savait rien avec certitude.
« Bon, quoi qu’il en soit, j’ai fait ce qu’on m’a demandé, alors… » Déclara Itsuki en désignant un plateau avec le bon nombre d’assiettes et de bols.
Mahiru lui adressa un sourire doux. « Tout est prêt. Arrangeons les plats et prenons une photo pour notre rapport, puis passons à table, d’accord ? »
« Oh ouais ! » S’exclama Itsuki. « J’ai trop la dalle. »
« C’est parce que t’as zappé le p’tit dej, non ? » Fit remarquer Chitose.
« C’est pas ma faute, j’me suis réveillé à la bourre. Je peux avoir une portion extra ? »
« Ça ne me dérange pas. » Répondit Mahiru. « Je vais chercher la salade de nouilles, alors arrangez le reste entre-temps. »
Amane réagit rapidement. « Je viens avec toi. Il faut aussi prendre la gelée d’amande pour la photo. »
Il avait proposé son aide en se disant que Mahiru n’aurait pas assez de mains pour tout porter, et elle lui fit un petit signe de tête en souriant calmement.
Un peu trop tard, il se rendit compte qu’il aurait dû envoyer Chitose à la place, ne serait-ce que pour éviter les spéculations inutiles, mais il était trop tard. Amane maintint volontairement une petite distance entre eux pendant qu’ils se dirigeaient vers le réfrigérateur, au fond de la salle de cuisine.
Aucune des autres équipes n’avait Mahiru de leur côté, donc la plupart n’avaient pas encore terminé. Comme d’habitude, certains groupes se contentaient d’expédier les choses à moitié. En passant devant eux sans s’y attarder, Amane se dit qu’ils allaient sûrement récolter de mauvaises notes.
Il y avait même une bande de garçons qui discutaient et faisaient les idiots au lieu de cuisiner. L’un d’eux tenait une poêle dans une main en riant et se pencha brusquement en arrière, avec un grand geste exagéré… pile dans la trajectoire d’une fille qui transportait une marmite pleine de soupe.
Amane perçut immédiatement le danger et tira Mahiru en arrière.
Quelques secondes plus tard, un grand splash se fit entendre, suivi d’une vapeur chaude accompagnée d’une odeur légère et laiteuse qui se répandit dans l’air.
La fille devait avoir préparé une soupe à la crème, vu les bonnes demi-tasses de liquide blanc épais qui s’étalaient maintenant sur le sol. Il détourna les yeux pour vérifier qu’aucune éclaboussure n’avait atteint Mahiru.
« Shiina, t’es brûlée ? »
« … Ah, non, je n’ai rien, mais… »
Mahiru semblait pétrifiée de surprise.
La fille qui avait renversé la soupe avait l’air désolée, et le garçon à la poêle, qui l’avait percutée, avait le visage blême.
« T’as été touchée ? » Demanda Amane à la fille avec la marmite.
« Ah, n—non, ça va. D—Désolée… ! »
« C’est bon. Ni moi ni Shiina n’avons été touchés. »
Heureusement, il avait réagi à temps, et ni Mahiru ni lui n’étaient blessés.
Il fit un geste pour rassurer sa camarade, qui avait posé la marmite sur un réchaud pour s’excuser, tout en lançant un regard au garçon qui l’avait percutée.
Comme on pouvait s’y attendre, les autres garçons qui plaisantaient avec lui s’étaient tus, sans doute pris de remords. Ils évitaient soigneusement de regarder dans la direction de Mahiru.
« … Écoutez, les gars, c’est bien de s’amuser un peu, mais faut pas faire les idiots dans un endroit avec du feu, des couteaux, et tout ça. » Déclara Amane. « Si quelqu’un se blesse et garde une cicatrice à vie, vous ne vous le pardonnerez jamais. Cette fois, on a eu de la chance, mais si vous aviez blessé une des filles ? Vous pourriez assumer ça ? »
Ce ne serait vraiment pas drôle si quelqu’un se retrouvait brûlé —ou coupé— avec une cicatrice en souvenir. Amane s’en fichait de se blesser un peu lui-même, mais il ne se le pardonnerait jamais s’il faisait du mal à quelqu’un d’autre, surtout à une fille.
Beaucoup de filles, et même pas mal de garçons, seraient très affectés s’ils gardaient une vilaine blessure. Et si quelqu’un se faisait sérieusement mal dans un accident aussi bête, il ne serait pas étonnant qu’il en veuille à mort à la personne responsable.
Que ce soit Mahiru ou l’autre fille ne changeait rien. Quelqu’un qui mettait les autres en danger par pur manque de sérieux, ça rendait Amane furieux, et il ne pouvait pas rester sans rien dire.
Amane était habituellement très discret et restait souvent dans son coin, alors quand le garçon fautif, qui ne s’attendait visiblement pas à se faire réprimander, vit ses yeux plissés et entendit son ton sec, il s’empressa de présenter des excuses penaudes.
« D—Désolé… »
Sachant que s’il allait trop loin, cela risquait de tourner à l’affrontement, Amane changea de ton pour en adopter un plus doux. « C’est pas à moi qu’il faut t’excuser, mais à Yamazaki, celle que t’as percutée, et à Shiina, qui a failli se faire éclabousser. Bref, fais plus attention la prochaine fois. Une cuisine, c’est un endroit dangereux. »
Puis il se tourna vers Mahiru.
Il l’avait gardée dans ses bras tout ce temps, et le visage de Mahiru s’était légèrement teinté de rouge. Il regretta un instant ce contact non prémédité, mais c’était trop tard pour revenir en arrière. Il la relâcha doucement, sans faire de grimace, et désigna le réfrigérateur.
« Shiina, désolé de t’avoir touchée sans te prévenir. Va rejoindre les autres avec la salade, je vais aider à nettoyer ici. »
« C—C’est bon, c’est moi qui ai tout renversé, même si on m’a un peu bousculée… » Bredouilla Yamazaki, la fille à la soupe.
« J’ai été mêlé à l’histoire aussi, et dans mon équipe, on a plus qu’à manger. Ça ne me prendra pas longtemps, t’en fais pas. »
Elle n’en avait pas renversé beaucoup, donc le nettoyage n’allait pas prendre trop de temps.
Après avoir rassuré sa camarade visiblement bouleversée, Amane demanda l’autorisation au professeur, puis prit plusieurs feuilles d’essuie-tout sur le comptoir pour éponger la soupe.
Le peu de liquide fut rapidement absorbé. Alors qu’il s’apprêtait à passer un chiffon humide, Mahiru réapparut avec un torchon mouillé à la main et s’en chargea.
« Ça ira plus vite si on le fait à deux. » Murmura-t-elle. Puis elle adressa à Amane un sourire angélique, à une distance plutôt troublante.
***
« Bon retour ! »
Une fois le nettoyage terminé, Amane et Mahiru revinrent à leur table avec la salade de nouilles et la gelée d’amande, cinq minutes plus tard que prévu, et Chitose les accueillit avec un sourire malicieux.
Les parts d’Amane et de Mahiru, à l’exception de la salade et du dessert, étaient déjà disposées sur la table. Amane répartit alors la salade dans les assiettes prévues et poussa un soupir.
« Je suis crevé… » Gémit Amane.
« Tu gérais, mec. » Dit Itsuki. « Et t’as même été audacieux, pour une fois. »
« C’est pas comme si j’avais essayé de profiter de la situation ou quoi… » Répliqua Amane. « Je devais juste la mettre à l’abri de la soupe. »
Il n’avait pas eu l’intention de prendre l’ange dans ses bras ou quoi que ce soit du genre. Et même si personne ne l’avait critiqué pour sa réaction instinctive, plusieurs garçons le regardaient avec jalousie, ce qui le mettait mal à l’aise.
Quant à Mahiru, elle fronça légèrement les sourcils en entendant ses paroles. Seuls ceux qui la connaissaient bien auraient remarqué ce petit détail.
« Eh bien, je trouve que tu m’as vraiment protégée. Merci de m’avoir retenue. »
« J’ai juste fait ça parce que ton tablier ou ton uniforme auraient pu être tachés, ou pire, t’aurais pu être brûlée. Le gars avait l’air de s’en vouloir, alors c’est l’essentiel. »
Comme on pouvait s’y attendre, c’est le garçon responsable de la collision qui reçut tous les reproches. Dans un endroit où le moindre faux pas pouvait mener à un accident grave, c’était normal. À ce moment-là, le professeur était en train de le réprimander sévèrement.
Amane était satisfait qu’au final, personne ne soit blessé. Et lui-même n’avait pas été en danger. Certes, il avait touché Mahiru sous les yeux de tout le monde, ce qui aurait pu être plus gênant que de se brûler avec de la soupe, mais l’ambiance dans la salle montrait qu’il avait été pardonné.
« Si t’es capable d’être aussi courageux face au danger, pourquoi t’es toujours aussi poule mouillée, d’habitude ? » Fit remarquer Itsuki
« Pardon ? Tu viens de dire un truc ? » Répliqua Amane, les yeux plissés et la voix glaciale, bien décidé à ne rien entendre de désagréable.
« Rien du tout. » Répondit Itsuki avec un grand sourire. « Bref, on a fini notre déjeuner sans accroc, alors prenons la photo, hein ? » Il sortit son téléphone et commença à le manipuler.
Les élèves avaient le droit d’utiliser leur téléphone en classe pour vérifier les recettes et envoyer leurs photos, mais pas pour s’amuser. Itsuki pointait visiblement son objectif vers des personnes plutôt que vers les plats, ce qui valut à Amane un regard exaspéré, mais Chitose se précipita avec enthousiasme dans le champ de la caméra.
« Toi aussi, Mahirun ! Allez, viens, viens. »
« Vous êtes pas possibles… » Grogna Amane.
Mahiru cligna des yeux d’un air théâtral, puis rapprocha légèrement sa chaise d’Amane avec un petit sourire.
Et toi aussi, Mahiru… ? Pensa Amane, surpris de la voir lui adresser une brève grimace malicieuse avant de reprendre son habituel sourire d’ange.
« Allez, Itsuki, viens aussi ! » Lança Chitose.
« Attends, mais qui va prendre la… ? Oh, parfait, Yuuta ! Viens prendre la photo. »
« Hein ? Qu’est-ce que vous racontez ? »
Yuuta passait justement par là, probablement de retour du réfrigérateur avec un plateau de porc émincé. Itsuki lui mit son téléphone dans les mains, passa derrière Amane et fit un signe de victoire.
Yuuta parut surpris par la demande soudaine, mais en voyant les plats prêts devant Amane, il sembla comprendre.
Avec un petit rire, il dit. « Bon, j’ai pas le choix. Vous avez été rapides, vous, hein ? Allez, je prends la photo. »
« Parce qu’on a bossé dur, mon gars ! »
« Mais t’as presque rien fait, Itsuki ! » Lança Chitose.
« Allez, dis pas ça, t’avais promis ! »
Amane ria des protestations absurdes de son ami. Puis il entendit le son de l’obturateur. Il se figea— Yuuta avait pris la photo avant qu’il n’ait eu le temps de se préparer.
« Elle est pas mal, celle-là ! » Déclara Yuuta en rendant son téléphone à Itsuki avant de s’éloigner.
« Waouh, c’est pas tous les jours que j’ai une photo d’Amane qui sourit. » Remarqua Itsuki.
« Ben oui, d’habitude, il tire toujours la tronche ! » Ajouta Chitose. « Envoie-la-moi aussi, s’il te plaît ! »
« D’accord. Shiina, tu le récupères de Chitose, ok ? »
Mahiru avait déjà échangé ses coordonnées avec Itsuki, mais vu le monde autour d’eux, il valait mieux ne pas le dire à voix haute.
Ce qui agaçait surtout Amane, c’était qu’Itsuki envoie la photo à Mahiru sans même lui laisser le temps de la voir.
Il jeta un regard vers Mahiru, qui lui répondit avec un petit sourire adorable, bien que discret, ce qui ne laissa à Amane d’autre choix que de soupirer en les regardant partager rapidement l’image.
« … Tout le monde s’en fiche de ma tête, alors autant manger. » Marmonna Amane, espérant clore le sujet.
Itsuki lui adressa un grand sourire, mais avant qu’il ne retourne à sa place, Amane lui donna un petit coup de coude et se détourna, boudeur.
Après ça, Amane enfourna dans sa bouche le contenu du bol de riz qu’Itsuki et Chitose lui avaient gentiment servi, avec plein d’œufs, et il oublia bien vite la honte d’avoir été photographié en souriant. Mahiru gardait un sourire tranquille, sans prêter attention à Itsuki ou Chitose.
***
« Amaaaane, à partir d’aujourd’hui, on déjeune avec toi aussi ! »
Un jour, quelques jours après le cours de cuisine, Chitose arriva d’un pas bondissant, tout sourire, en traînant Mahiru derrière elle. La joue d’Amane tressaillit.
Il commençait à se comporter avec Mahiru moins comme une simple connaissance et plus comme une véritable amie. Ils se parlaient même en public. Mais déjeuner ensemble, n’était-ce pas un peu trop, trop vite ?
Certes, si Chitose faisait semblant de venir manger avec Itsuki, et Mahiru l’accompagnait, on pouvait imaginer qu’elle avait juste amené une copine. Leurs camarades de classe n’y verraient peut-être rien de suspect ou de particulièrement enviable, pensa Amane.
Tirée par Chitose, Mahiru gardait son sourire doux habituel —le même que celui d’un ange.
Mais Amane était très troublé, car il distinguait aussi une certaine malice dans son regard. « Ah, je devrais peut-être me pousser un peu ? » Proposa-t-il.
Mais Chitose n’allait clairement pas le laisser s’échapper aussi facilement. « Ne t’inquiète pas ! C’est nous qui avons décidé de venir à votre table, après tout. »
Amane avait la nette impression que tout ça venait de Chitose. Mais même lorsqu’il lui lança un regard noir —ou plutôt désabusé— elle se contenta de lui sourire, rayonnante, sans se démonter.
Elle avait sûrement manigancé ça avec Itsuki. Ou alors Itsuki était simplement content de manger avec sa copine, car il accueillit l’idée avec son éternel sourire. « Bonne idée, déjeunons tous ensemble. »
Amane flétrit instantanément sous les regards jaloux qui fusaient de toutes parts.
« Oh, Shirakawa et Shiina mangent avec nous, aussi ? » Demanda Yuuta en s’approchant de la table, manifestement prêt à se joindre à eux.
L’estomac d’Amane se noua.
« Oui, on avait prévu de s’asseoir avec eux aujourd’hui. » Dit Mahiru.
« Vraiment ?! » Répondit Yuuta, hilare. « Ça promet d’être un déjeuner animé, alors ! »
Amane, lui, se sentait tout sauf animé.
Il n’en voulait pas à Yuuta.
Il était juste en état de choc que Mahiru soit vraiment venue s’installer.
Je suis mort.
« … Abandonne, Amane, on t’a eu. » Marmonna Itsuki assez bas pour que Yuuta ne l’entende pas, et Amane poussa un profond soupir accablé.
***
« Tu apportes toujours ton déjeuner, Shiina ? » Demanda Yuuta en désignant le bento ouvert devant Mahiru.
Amane et Itsuki mangeaient toujours à la cafétéria, alors Mahiru et les autres, qui déjeunaient d’habitude en classe, les avaient rejoints.
Une fois que les garçons furent revenus à table avec les plateaux qu’ils avaient commandés, Yuuta devint curieux en voyant le bento de Mahiru.
D’ailleurs, Mahiru était assise juste en face d’Amane. C’était Chitose qui l’y avait poussée, et Amane n’avait pas trouvé d’échappatoire.
« Oui, mais c’est juste des restes du dîner. »
En semaine, Mahiru cuisinait souvent des plats faciles à glisser dans un bento, en mettant de côté une portion pour le petit-déjeuner d’Amane et une pour son déjeuner, donc c’est ce qu’elle avait emporté ce jour-là. Il reconnut les boulettes de poulet teriyaki qu’ils avaient mangées la veille.
« Wouah, un repas maison ? »
« Oui. Mais vraiment, ce n’est rien de spécial. »
« Mahirun, c’est pas gentil de mentir ! » Intervint Chitose. « Tu cuisines trop bien. »
« Tu devrais devenir l’élève de Shiina. » Ajouta Itsuki.
Chitose fit la moue. « Itsuki, t’es méchant ! »
« Il faut juste qu’elle t’apprenne à assaisonner correctement. Tu sais faire les plats, mais tes mélanges sont… étranges. »
Comme elle l’avait montré pendant le cours de cuisine, Chitose était en réalité plutôt douée. C’était juste qu’elle adorait expérimenter avec des goûts improbables, par pur esprit de malice. Itsuki se plaignait souvent que ce serait parfait si elle arrêtait de faire ça.
« Ok, je vais suivre des cours de cuisine particuliers avec Mahirun. Et Amane goûtera tout. »
« Je ne crois pas, non. » Répondit Amane. « En plus, ça dérangerait Shiina. Arrête de sortir ce genre de trucs à la légère. »
« En fait, je ne pense pas que ce serait dérangeant. » Dit Mahiru. « Je crois que j’aimerais bien cuisiner encore avec Chitose. »
« Yaaay ! Mahirun, je t’adore ! Ça va être trop bien ! Garde ton agenda libre, Amane ! »
Assise à côté de Mahiru, Chitose s’accrocha à elle avec un large sourire.
Mahiru souriait aussi, hochant la tête. Amane fut ému de voir à quel point elles étaient devenues proches.
Chitose vient carrément de fixer un rendez-vous avec Mahiru, juste là, devant tout le monde, tranquille.
Était-ce une manigance plus large ? Il ne savait pas. Mais en regardant Chitose, il vit qu’elle et Mahiru se souriaient avec douceur.
Le visage d’Amane tressaillit en constatant que leurs camarades autour tendaient tous l’oreille, débordants de jalousie silencieuse.
« … Dis, Itsuki ? » Demanda Amane.
« Hmm ? »
« Tu crois que j’ai une chance de m’en sortir vivant ? »
« Euh, tu t’en sortiras… probablement. »
Il recevait des regards noirs de la part des fans de Mahiru —autrement dit, les garçons éperdument amoureux d’elle. Ce n’était pas une impression. C’était clairement une idée de Chitose, donc la haine n’était pas encore dirigée directement contre lui, mais il redoutait ce qui se passerait si, la prochaine fois, c’était Mahiru elle-même qui proposait quelque chose… surtout une fois qu’il deviendrait évident qu’ils étaient proches.
Yuuta se pencha vers lui. « Ça a l’air amusant, non, Fujimiya ? »
« … Si j’étais toi, je pourrais probablement m’en sortir sans attirer autant de jalousie. »
Si Amane avait été aussi beau et talentueux que Yuuta, les gens l’auraient vu comme un égal de Mahiru. Même s’ils étaient jaloux, ils se seraient dit que c’était logique, et auraient fini par abandonner.
« Mais moi aussi, je suis jaloux de toi, Fujimiya. »
« Jaloux ? Pourquoi ? »
« Pour plein de choses. » Répondit Yuuta d’un ton énigmatique, avant de rire.
Amane ne put que pencher la tête, confus.
Itsuki intervint. « Attendez une minute. Il y a peut-être du vrai dans ce que dit Yuuta. »
« Sérieusement ? »
« C’est dur de se rendre compte de ce qu’on a. Et ceux qui ont quelque chose ne comprennent pas ce que ressentent ceux qui ne l’ont pas. En plus, on veut tous ce qu’on n’a pas. Chi passe son temps à se plaindre de ce qui lui manque. »
« Tu veux dire quoi par là ? »
« Eh bien, qu’est-ce que Mahiru a en abondance, que Chi n’a pas du tout… ? »
« T’es clairement en train de penser à un truc pervers, pas vrai ? » Coupa Chitose. Apparemment, elle écoutait leur conversation. Et même si elle affichait un large sourire, ses yeux, eux, ne souriaient pas du tout.
Comprenant que le sujet était un véritable champ de mines, Amane se tut et observa Chitose et Itsuki commencer à se chamailler. Puis il jeta un coup d’œil à Mahiru. Elle semblait perplexe face à l’échange entre Chitose et Itsuki, mais lorsqu’elle croisa le regard d’Amane, son expression changea pour un sourire.
Ce n’était pas son sourire angélique habituel, mais plutôt celui, timide et joyeux, qu’elle n’affichait qu’à la maison. Pris de court, Amane détourna rapidement les yeux.
***
« Tu étais surpris ? »
Chez lui, Mahiru souriait d’un air espiègle.
Amane ne put s’empêcher de lui répondre par un sourire un peu ironique. « Surpris ? Disons que je t’ai trouvée un peu directe. »
« Je sais que j’avais dit que j’irais doucement, mais j’ai trouvé que c’était le bon moment pour passer à l’étape suivante. Et puis, j’ai récemment compris qu’on n’avancerait pas si je ne te poussais pas un peu. »
« C’est vrai. »
Elle avait sans doute été plus proactive que d’habitude parce qu’elle savait qu’Amane avait toujours tendance à fuir. Mais dans cette situation, il était encerclé et ne pouvait pas s’échapper facilement.
Amane avait été surpris de voir Mahiru aussi audacieuse, mais au final, ils s’étaient juste parlé. Elle n’avait pas tenté de le toucher ou quoi que ce soit, donc il était plutôt rassuré.
Si elle l’avait effleuré innocemment comme elle le faisait chez lui, nul doute que des lames de jalousie auraient jailli de toutes parts pour l’éliminer. Elle comptait sur lui, et lui faisait confiance plus qu’à quiconque, mais leurs camarades n’en savaient rien.
« J’essaie d’y aller petit à petit, pour ne pas trop perturber ta routine. Mais Amane, si quelque chose te dérange, dis-le-moi, d’accord ? »
Mahiru savait parfaitement à quel point elle était populaire. Amane le savait aussi, et il voyait bien qu’elle faisait de gros efforts pour ne pas se montrer trop proche de lui trop vite, justement pour éviter les jalousies. C’était bien du Mahiru tout craché —toujours à penser à le protéger avant tout.
Cela dit, il ne pouvait pas nier que, cette fois, Chitose avait peut-être été un peu trop loin. Mais maintenant, c’était trop tard, alors il allait devoir faire plus attention à l’avenir.
« Bah, pour l’instant, ça va… » Dit Amane. « Même si je me prends quelques regards jaloux. »
« Ah bon ? C’est… Tu ne détestes pas ça ? »
Apparemment, elle s’inquiétait encore du fait qu’Amane s’était montré maussade au départ.
« Mais maintenant, je comprends que tu te sentais seule. On a eu tort de laisser un ami de côté, et ça t’a fait du mal, c’est évident. »
« … Un ami, hein ? »
« Hmm ? »
« Non, rien. »
Elle semblait clairement troublée par quelque chose, mais Mahiru ne semblait pas vouloir en parler. Lorsqu’elle détourna les yeux, Amane comprit qu’il avait probablement gâché son humeur.
Il passa sa main dans ses cheveux.
« … Tu ne crois quand même pas que tu peux tout régler en me caressant un peu la tête ? »
« Non, mais je me suis dit que ça te ferait plaisir. »
« C’est vrai, mais… Ne fais pas ça à n’importe quelle fille juste pour arranger les choses. »
« Je le fais qu’avec toi, Mahiru… »
De toute façon, la seule autre fille avec qui je suis ami, c’est Chitose. Et je ne ferais clairement jamais ça avec elle. En plus, je pense pas que ça lui ferait très plaisir. Non, Mahiru est la seule personne avec qui je ferais ce genre de choses —et la seule avec qui j’en aurais envie. C’est elle que j’ai envie de chouchouter.
Amane pensait avoir été clair sur le fait qu’il était sérieux. Mais Mahiru semblait encore contrariée, et elle donna un coup-de-poing dans un des coussins.
Amane s’apprêtait à retirer sa main quand elle lui donna un petit coup de tête dans le haut du bras. Ça ne faisait pas mal, mais il fut tout de même surpris par cette attitude plus audacieuse que d’habitude.
« … Amane, idiot. »
« Pourquoi tu dis ça ? »
« Je dois faire combien d’efforts, au juste… ? »
« J—Je comprends pas trop ce que tu veux dire, mais si tu forces trop, tu vas t’épuiser… alors prends les choses calmement… »
« Si je te pousse pas un peu, on n’avancera jamais. »
Mahiru semblait un peu frustrée alors qu’elle le regardait par-dessus son épaule, mais Amane crut aussi y lire un peu de gêne… et une pointe d’attente dans ses yeux brillants.
Il n’osa pas croiser son regard. « O—On dirait vraiment que tu attends quelque chose de moi. »
« … Je veux juste ce qui vient après… »
Après… ?
Mahiru attendait sans doute quelque chose de plus, mais pour l’instant, elle ne semblait pas prête à en dire davantage. Alors, Amane choisit de continuer à lui caresser doucement la tête, en faisant de son mieux pour lui faire plaisir.
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source : traduction anglaise officielle par Yen Press
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