Traducteur: linkfet
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Les vacances de printemps laissaient pas mal de temps libre à ceux qui n’avaient pas de passe-temps particulièrement prenants. Amane n’était pas sans intérêt, mais il préférait des activités comme la lecture et les longues promenades. Ses camarades de classe se moquaient parfois de lui en le trouvant ennuyeux.
Mais Amane n’était pas intéressé par le sport ni par les jeux en extérieur. À moins d’avoir un endroit précis où se rendre, ses sorties se limitaient à courir un peu, à la marche ou aux courses, et c’était à peu près tout. Itsuki se demandait souvent pourquoi Amane ne profitait pas davantage de sa jeunesse, mais ce dernier estimait faire suffisamment d’exercice pour rester en bonne santé.
Mahiru non plus ne semblait pas sortir beaucoup. Bien sûr, il lui arrivait de la voir faire du sport, et elle allait souvent dehors pour acheter ce dont elle avait besoin, mais elle ne sortait jamais vraiment dans un but purement récréatif.
« Tu n’as pas envie d’aller quelque part pour t’amuser ? »
Un soir, après le dîner, il lui posa la question. Mahiru sembla troublée un instant, puis elle sourit avant de répondre, « Aller quelque part pour m’amuser… ? Pas vraiment, non. Je suis plutôt casanière. »
Amane n’était pas le mieux placé pour critiquer, mais il se demandait tout de même s’il était sain pour une belle lycéenne de rester enfermée en permanence. « Bah, j’imagine que je suis pareil. Moi non plus, je n’ai pas particulièrement envie de sortir. »
« … Et pour ce qui est de retourner chez tes parents ? » Demanda Mahiru.
« Je les ai vus pour le Nouvel An, alors je peux m’en passer. En plus, je suis censé rentrer cet été. Et ce serait dommage de me priver de ta cuisine fantastique. »
« … Ah… E-est-ce vrai ? »
Amane s’était clairement habitué à savourer les plats de Mahiru au quotidien. Passer autant de temps avec elle lui semblait désormais naturel. Il appréciait sa gentillesse et sa beauté, et il se sentait plus apaisé en sa présence.
« Sans parler du fait que si je rentre, ils vont me traîner partout, et ça risque d’être épuisant. »
« … Te traîner partout ? »
« Dans des stations balnéaires, des centres commerciaux et ce genre de choses. Si je n’ai rien de prévu, ils m’emmènent où ils veulent. Une fois, au collège, on est même allés dans des stations thermales. »
La mère d’Amane se fichait pas mal d’être à l’intérieur ou à l’extérieur, tant qu’elle passait du temps en famille. Quand son fils n’avait pas de programme, elle cherchait à l’embarquer avec elle quelque part. En général, elle lui laissait le choix de la destination, mais si elle en avait l’occasion, elle en profitait sans hésiter.
Les parcs d’attractions et les centres commerciaux avaient leur charme, mais elle aimait aussi la randonnée en montagne et l’air-soft, des activités bien plus physiques. Amane ne comprenait toujours pas comment elle pouvait avoir une telle énergie dans un corps aussi frêle.
Grâce à elle, il avait appris à faire plein de choses et restait en bonne condition physique, mais il était évident que sa préférence pour les loisirs calmes venait en réaction à l’enthousiasme débordant de sa mère.
« … Ça a l’air amusant. » Fit remarquer Mahiru.
« Quand c’est tous les jours, on s’en lasse vite. J’aimerais éviter d’entamer la nouvelle année scolaire complètement épuisé à force de devoir la suivre partout. »
« Ha ha, j’imagine. »
« Tu comprendrais si tu venais avec moi. Elle concentrerait toute son énergie sur toi à la place. »
« J-je suppose que oui… »
Amane était persuadé que sa mère serait ravie de sortir quelque part avec Mahiru. Elle n’irait probablement pas jusqu’à lui proposer des activités trop intenses, mais elle l’emmènerait sans aucun doute faire du shopping et ce genre de choses.
Sa mère avait toujours rêvé d’avoir une fille, et elle sauterait sûrement sur l’occasion de passer du temps avec une jeune fille de cet âge, a fortiori une comme Mahiru.
« Tu verras si tu viens cet été. Elle te traînera partout et te prendra encore une fois pour une poupée à habiller. »
« … Cet été ? »
« J’ai comme l’impression qu’elle va me demander de t’emmener avec moi. »
Autrement dit, elle avait déjà essayé de me mettre la pression.
À ce stade, Shihoko allait probablement s’adresser directement à Mahiru avant même que les vacances d’été ne commencent.
« Ah, enfin, si l’idée te dérange, tu peux bien sûr refuser. »
« N-non, ça ne me dérange pas ! Au contraire, ça me fait plaisir ! »
Mahiru secoua la tête avec force. Ses cheveux retombèrent autour de son visage, et le parfum de son shampoing chatouilla le nez d’Amane.
« Hmm. Bon, je vais prévenir ma mère, alors. Je sais qu’elle sera ravie de t’accueillir. »
« … Merci. »
« C’est plutôt moi qui devrais te remercier d’alléger un peu ma charge. »
« Oh, voyons. » Elle lui donna une petite tape sur le bras.
Bien sûr, cela ne lui fit pas mal, mais Amane sentit son cœur s’emballer dès qu’elle le toucha.
« … Amane ? »
« A-ah, rien, c’est rien. »
« Tu n’as pas l’air très convaincant… »
« Franchement, ne t’inquiète pas. Oh, regarde. Tu as reçu un message. » Amane saisit l’occasion pour changer de sujet. Il pointa du doigt le téléphone de Mahiru, qui vibrait et affichait une notification.
Heureusement, Mahiru reporta son attention sur l’écran. « Qu’est-ce que ça peut bien être ? » Murmura-t-elle en ouvrant son application de messagerie.
Évidemment, Amane savait qu’il serait impoli de regarder par-dessus son épaule, et il n’avait pas particulièrement envie de croiser son regard à cet instant, alors il détourna les yeux. Mais… en entendant un léger bruit sourd, il tourna la tête vers Mahiru et se figea.
Elle avait laissé tomber son téléphone sur le coussin posé sur ses genoux et affichait une expression troublante, comme une enfant perdue au bord des larmes.
Ce n’étaient pas seulement les larmes qui perlaient dans ses yeux ou la courbe étrange de sa bouche… Elle semblait prête à se briser au moindre contact.
Où est-ce que j’ai déjà vu cette expression ?
Ah oui, ça me rappelle la première fois qu’on s’est parlé.
« … Mahiru ? »
« Non, ce n’est rien. Ne t’inquiète pas. » Avant même qu’Amane ait eu le temps de lui demander ce qui n’allait pas, elle répondit d’une voix rigide. « Bon, je vais devoir rentrer chez moi. J’ai des affaires à régler demain, donc je ne pourrai pas rester pour le dîner. Désolée. »
Mahiru ne lui laissa pas le temps de protester. Elle rassembla rapidement ses affaires et partit. Amane se leva pour l’arrêter, mais elle ne sembla pas le remarquer ou bien elle l’ignora délibérément. Il se retrouva à tendre la main vers un vide.
… Pourquoi si soudainement ?
Il était certain que cela avait quelque chose à voir avec le message qu’elle avait reçu.
Autant qu’Amane le sache, il n’y avait qu’une seule chose qui pouvait la faire paraître comme ça.
« … Les parents de Mahiru. »
Mahiru ne donnait ses coordonnées qu’à un très petit nombre de personnes, donc seules quelques personnes connaissaient son identifiant sur l’application de messagerie. Il y avait Amane, sa mère, Chitose et Itsuki, et il avait entendu dire que quelques filles de sa classe qui savaient garder un secret le connaissaient aussi. À part eux, il en déduisait que les seules personnes qui pourraient le savoir étaient ses parents.
Il devait supposer que le message venait d’eux.
Et le fait qu’elle ait dit qu’elle avait des affaires à régler demain, sans en avoir parlé la veille, devait signifier que Mahiru allait probablement les rencontrer. Il savait qu’elle avait une relation difficile avec ses parents, ce qui expliquait l’expression sombre qu’il avait vue tout à l’heure.
Bon, il avait probablement trouvé la source de l’inquiétude de Mahiru, mais il n’y avait pas grand-chose qu’il puisse faire avec cette information.
« … Mahiru. »
Il avait entrevu son visage, tout déformé, lorsqu’elle était partie. Il n’avait rien dit. Sentant qu’il était impuissant, il murmura son nom, laissant son poing tomber sur le coussin qu’elle avait tenu il y a encore un instant.
***
Il faisait mauvais ce jour-là.
De sombres nuages lourds couvraient le ciel, et lorsqu’Amane regarda par la fenêtre, il ne voyait aucun rayon de soleil. Si quelque chose allait tomber de ce ciel, ce seraient des gouttes de pluie.
C’était peut-être pour ça qu’il faisait si frais, bien que la fin mars approche à grands pas.
Amane alluma le chauffage et s’assit sur le canapé, mais il n’arrivait pas à se concentrer. Sans le vouloir, son regard se dirigeait constamment vers l’appartement de Mahiru.
Aujourd’hui doit être le jour où elle va voir ses parents, non ?
Elle lui avait déjà dit qu’elle ne ferait pas le dîner ce soir, probablement parce qu’elle ne voulait pas que quelqu’un la voie aussi émotive.
Rien que de se rappeler à quoi Mahiru ressemblait avec une telle expression de douleur, cela provoquait un sentiment sombre et désagréable dans la poitrine d’Amane, comme si des restes de quelque chose de sombre s’y étaient accumulés.
Il était tellement inquiet qu’il faillit lui envoyer un message pour savoir si elle avait besoin de quoi que ce soit, avant de finalement renoncer. Il était extrêmement agité, mais en regardant autour de lui dans sa chambre, il se rendit compte qu’il ne pouvait rien faire, alors, pour l’instant, il décida de se rendre au supermarché pour acheter de quoi dîner.
Même quand il faisait ses courses, peu importe ce qu’il faisait, Amane ne pouvait pas sortir de sa tête l’image du visage triste de Mahiru. Il imaginait à quel point cela devait être douloureux pour elle de devoir voir ses parents, si c’était ce genre de visage qu’elle faisait.
Elle avait l’air effrayé, pensa-t-il en serrant les lèvres. Amane essaya de ne pas froncer les sourcils pour ne pas avoir l’air d’un fou, mais peu importe ce qu’il essayait, il n’arrivait pas à se remonter le moral.
Puis, en mettant un plat préparé dans son panier un peu trop brusquement, il fit tout basculer et se sentit encore plus mal.
Soupirant profondément, il paya ses achats et se dirigea lentement vers chez lui sous le ciel nuageux. Lorsqu’il prit l’ascenseur pour son étage, il eut un drôle de pressentiment. Juste avant de sortir dans le couloir, Amane s’arrêta, restant dans l’ombre de l’ascenseur.
Il y avait deux personnes devant la porte de l’appartement de Mahiru.
L’une d’elles était une fille aux cheveux blonds familiers— c’était Mahiru.
Et l’autre était une femme qu’il n’avait jamais vue avant.
Même de loin, il pouvait voir qu’elle était plutôt belle. Et elle était grande aussi, surtout comparée à la petite Mahiru— d’après l’estimation d’Amane, elle semblait même plus grande qu’un homme moyen. Mais son corps était incontestablement féminin. Il pouvait voir ses courbes généreuses même sous son tailleur moulant et remarqua qu’elle avait une silhouette presque parfaite.
Ses cheveux châtains mi-longs tombaient librement jusqu’à ses épaules, et elle se tenait avec une grâce incontestable. Ses yeux étaient entourés de maquillage, mais Amane ne pensait pas qu’elle ait besoin de maquillage pour paraître audacieuse et déterminée. Même face à Mahiru, son regard sévère ne montrait aucun signe de tendresse.
C’était une beauté, mais son aura était incroyablement intimidante. Elle ressemblait à une femme extrêmement compétente, qu’il était impossible d’approcher dans des circonstances normales.
Comparée à la Lily soignée et propre qu’était Mahiru, cette femme était comme une rose frappante. Voilà à quel point les deux étaient différentes, aussi bien en apparence qu’en tempérament.
« Vraiment, tu es une fille misérable ! Et tu lui ressembles tellement. Il n’y a rien que je déteste plus. »
Amane regarda, incrédule, les mots cruels glisser des lèvres rouges de la femme. Il était certain que cette personne était la mère de Mahiru, mais quand elle s’adressait à Mahiru, c’était avec un ton rempli de mépris. Il n’arrivait pas à croire que Mahiru supportait une telle cruauté de la part de ses propres parents.
« Au moins, si tu me ressemblais un peu plus, ce serait un peu mieux… mais non, tu as dû ressembler à lui. Eh bien, c’est comme ça. Une fois que tu auras fini tes études, je n’aurai plus à te supporter, donc ce n’est pas la peine de s’inquiéter maintenant. On pourra envoyer les papiers nécessaires par courrier comme d’habitude. »
« … Oui. » Répondit Mahiru d’une voix faible.
La femme ricana et se tourna sur ses talons. « Eh bien, c’est donc adieu. Et ne viens pas m’embêter avec des bêtises inutiles. »
Elle se dirigeait vers l’ascenseur, et Amane n’eut d’autre choix que de sortir dans le couloir. La femme le regarda brièvement lorsqu’ils se croisèrent, mais partit sans dire un mot de plus.
Mahiru était toujours là, et lorsqu’elle aperçut Amane, son visage se déforma en une grimace.
« … Tu as tout entendu ? »
« Désolé. »
Il ne mentit pas. Il s’excusa franchement.
Bien qu’il n’ait pas voulu écouter discrètement cette conversation, Amane n’osait pas sortir de sa cachette pendant qu’ils parlaient. De plus, il ne voulait pas laisser Mahiru seule dans cet état.
« Alors cette femme, c’était… »
« … Sayo Shiina. Ma mère biologique. »
Récemment, Mahiru était beaucoup plus affectueuse, mais en ce moment, elle était bien plus distante que lorsqu’ils s’étaient rencontrés pour la première fois, et sa voix était tendue et brisée.
« Je vais le dire tout de suite. » Continua Mahiru avant qu’Amane ne puisse poser la moindre question. « Elle a toujours été comme ça, donc je m’y suis habituée. » Sa voix était distante et monotone. « Ma mère m’a détesté aussi loin que je me souvienne, et il est trop tard pour que ça change, alors ne t’inquiète pas pour ça. »
Le stress, la douleur, le cœur brisé — Mahiru ne pouvait pas cacher ce qu’elle ressentait. Même Amane pouvait voir à travers son masque de courage. Il ne prit même pas le temps d’y réfléchir— silencieusement, il prit la main de Mahiru alors qu’elle se tournait vers son appartement.
Il était convaincu que ses instincts étaient justes cette fois.
Car s’il la laissait seule comme ça, il semblait probable que les pensées de Mahiru prennent une mauvaise direction.
Elle le regarda, perplexe, puis lui offrit un faible sourire et tenta de lui retirer la main. Mais Amane serra un peu plus fort sa main, déterminé à ne pas la lâcher. Il ne serra pas trop intensément, mais il tenait assez fermement son poignet délicat.
« On reste ensemble ! » Déclara Amane d’un ton autoritaire qu’il n’adressait normalement jamais à Mahiru.
Son visage se tordit en un sourire gêné.
« … Vraiment, ça va. Tu n’as pas à t’inquiéter. »
« Eh bien, je veux être avec toi. »
Il savait qu’il était terriblement présomptueux, mais il n’avait aucune intention de reculer maintenant.
Il la fixa, et finalement, elle lui lança un sourire fatigué et arrêta d’essayer de se dégager.
Cela suffisait à Amane. Il mena Mahiru dans son appartement et la fit asseoir sur le canapé.
Souriant faiblement, Mahiru semblait prête à se désintégrer à la moindre brise. Toujours en tenant sa main, Amane s’assit à côté d’elle, puis lâcha son poignet pour poser ses paumes dans les siennes.
Lentement, Mahiru sembla se détendre un peu.
« … Ce n’est pas la meilleure histoire, mais voilà. »
Après presque dix minutes d’accalmie, Mahiru rompit enfin le silence.
« Mes parents ne se sont pas mariés par amour. » Dit-elle doucement. « Ils gardent exactement les circonstances secrètes, mais ils se sont mariés dans le cadre d’un accord entre leurs deux familles. »
Ce genre de mariage, fondé sur les intérêts familiaux plutôt que sur l’amour et la confiance, était rarement vu dans le Japon moderne. Ce n’était pas totalement inconnu, mais pour Amane, ça ressemblait à quelque chose tiré d’un vieux conte. Il savait que Mahiru venait d’une famille aisée, mais… même ainsi, il avait du mal à y croire.
« Et donc… la vérité, c’est qu’ils n’ont jamais vraiment voulu d’enfant. Je n’étais que le résultat d’une erreur d’un soir. Malheureusement, après ma naissance, ils n’ont pas eu d’autre choix que de me soutenir financièrement… Mais c’est tout. Je ne pense pas qu’ils aient jamais eu l’intention de m’élever. »
« Qu’est-ce que tu veux dire par là ? »
« … Ils rentraient rarement à la maison. Même quand ils le faisaient, c’était juste pour se poser un instant. Quand j’étais plus jeune, je les voyais à peine. »
La voix de Mahiru était calme et tendue. Elle avait l’air totalement épuisée.
« Je ne me souviens pas qu’ils aient fait quoi que ce soit d’affectif. En fait, j’ai été élevée par notre gouvernante. Maman avait beaucoup d’amants et passait souvent du temps avec eux, et Papa était trop absorbé par son travail pour avoir du temps pour moi. Il avait probablement aussi ses propres aventures… Bref, ils me donnaient plein d’argent et me laissaient tranquille. Ils disaient qu’ils n’avaient pas besoin d’un enfant dans leur vie. Peu importe combien j’essayais, peu importe ce que je faisais, ils ne m’ont jamais regardée. »
Amane comprit enfin pourquoi Mahiru agissait comme un ange.
Elle avait passé toute sa vie à essayer de convaincre ses parents qu’elle méritait leur attention, ne serait-ce que pour un instant, en jouant le rôle de l’enfant parfaite, et maintenant elle ne savait plus comment cesser d’être parfaite. Ou alors, elle se sentait obligée de cacher ses sentiments derrière son masque angélique. Dans tous les cas, Amane réalisa que le rôle d’ange n’avait jamais été un choix pour Mahiru.
« Finalement, ils ne se sont jamais souciés de moi. Même si je suis devenue jolie, même si j’avais de bonnes notes, même si j’étais douée pour le sport, même si je savais faire le ménage… Ces gens ne m’ont jamais regardée. Quelle idiote j’ai été, à me donner tant de mal pour rien. »
Amane sentit sa poitrine se serrer en écoutant son désespoir.
« Et à cause de mon existence gênante, ils ne peuvent même pas divorcer. Aucun d’eux ne veut être celui qui partira. Cela causerait des ennuis dans leur vie de famille et au travail. Ils ne pourraient pas espérer de soutien de mes grands-parents. Alors ils attendent que je termine l’université. Une fois que je serai indépendante, on ne se verra plus. »
« C’est… »
« Quand ma mère m’a dit en face qu’elle ne voulait pas de moi… Ça a été un choc. Je me suis sentie tellement perdue. Je suis restée dehors sous la pluie, dans un état second. »
C’était pour cela que Mahiru avait été dans le parc il y a quelques mois, se rendit compte Amane. Elle avait erré dans la douleur à cause de la cruauté de sa mère. Elle avait dû se sentir comme si elle n’appartenait à aucun endroit — c’était pour ça qu’elle avait l’air si angoissé et désespéré, comme un enfant perdu sans personne vers qui se tourner pour de l’aide. Ne sachant quoi faire, elle était restée là dans le parc, seule avec les mots haineux de sa mère.
En imaginant la scène, Amane sentit un léger goût de fer dans sa bouche. Il se rendit compte qu’il avait mordu sa lèvre et que c’était le goût de son sang. Il avait du mal à contenir son indignation face à cette tragédie.
« … Si j’allais être autant de tracas, elle aurait pu ne pas me mettre au monde. »
Son petit murmure le frappa comme un pieu planté dans sa poitrine, le clouant sur place. Il était tellement en colère contre ses parents qu’il n’arrivait presque plus à penser. À cause de leur négligence, Mahiru avait grandi en cachant ses sentiments, agissant comme si elle était forte alors qu’elle souffrait silencieusement derrière son masque de perfection angélique. Amane voulait crier contre eux, leur demander comment ils pouvaient la traiter de la sorte. Mais les gens qui avaient abandonné Mahiru n’étaient pas là.
Et puis, Amane n’était pas sûr de ce qu’il devrait vraiment faire dans cette situation.
Il était évidemment furieux contre ses horribles parents, mais il était aussi un étranger, et il ne pensait pas que Mahiru apprécierait qu’il s’immisce dans ses affaires familiales. Il risquait simplement de tout empirer. Lorsqu’il pensa qu’il pourrait seulement blesser Mahiru avec ses mots impulsifs, il décida de se taire.
Mais il semblait que Mahiru se dissoudrait dans l’air si Amane la laissait ainsi — alors il prit la couverture qui était sur le canapé à côté de lui et l’enroula autour des épaules de Mahiru. Elle parut surprise, mais il tira la couverture sur sa tête et la serra contre lui.
C’était la première fois qu’ils s’enlaçaient réellement, et son corps semblait hésitant et fragile. Il avait presque peur qu’elle se brise si jamais il la serrait trop fort. Mais il lui sembla que la personne dans ses bras avait appris à vivre sans compter sur personne.
« Quoi—? A-Amane… ? »
« … Je crois enfin comprendre pourquoi tu es comme tu es. »
« Tu veux dire pourquoi je suis si pathétique ? »
« Non… Je veux dire comment tu essaies d’endurer toutes les difficultés —et pourquoi tu ne baisses jamais ta garde. »
Mahiru n’avait jamais pu compter sur quelqu’un, mais elle avait refusé de se laisser briser par cela. La gouvernante avait fourni l’aide qu’elle pouvait, mais elle n’était qu’une employée, pas de la famille. Mahiru avait appris à persévérer seule dans la vie, et elle était manifestement devenue très douée pour cela.
« Écoutes… Je ne vais pas m’immiscer dans ta situation familiale. » Dit Amane. « Je sais mieux que quiconque qu’il vaut mieux ne pas se mêler des affaires des autres. »
Amane était un étranger. Il savait qu’il valait mieux respecter la complexité des relations familiales. Cependant, cela ne signifiait pas qu’il n’allait pas soutenir Mahiru.
« … Mais si tu as besoin de pleurer ou quoi que ce soit, vas-y. Je ferai semblant de ne pas te voir. Ça doit être étouffant de devoir endurer des choses aussi horribles. »
Il ne voulait pas vraiment la faire pleurer, mais s’il elle continuait à tout enfermer comme ça, un jour elle craquerait.
Alors il voulait qu’elle laisse sortir toutes ses frustrations, tout ce qu’elle retenait, et qu’elle pleure si elle en avait besoin. Et il serait là à ses côtés si elle avait besoin de lui.
Il ne pouvait pas faire grand-chose d’autre que de la soutenir.
Amane se demanda s’il n’était pas trop présomptueux, mais lorsque Mahiru se tortilla dans ses bras et enfouit son visage dans la poitrine d’Amane, toute appréhension disparut.
« Tu garderas le secret ? » Demanda-t-elle d’une petite voix.
« Je ne te vois pas, donc je ne sais rien. »
« … D’accord alors, juste un peu… laisse-moi m’appuyer sur toi. » Marmonna-t-elle. C’était la première fois qu’elle lui demandait du soutien.
Amane ne répondit pas— il avait l’impression que c’était lui qui allait pleurer si jamais il essayait. Au lieu de cela, il tira la couverture plus haut sur les épaules de Mahiru et la serra fort contre lui.
***
« … Tu promets que tu n’as rien vu ? »
Mahiru n’avait pas pleuré longtemps, peut-être dix minutes au maximum.
Ce serait merveilleux si elle pouvait pleurer pour libérer seize années de souffrance, mais cela semblait être plus que ce que son corps pouvait supporter pour le moment. Si elle ajoutait de la fatigue physique au stress mental, son cerveau finirait probablement par s’éteindre.
Les joues de Mahiru étaient mouillées lorsqu’elle leva son visage, mais elle semblait avoir un peu retrouvé son esprit, car lorsqu’elle croisa les yeux d’Amane, son regard ne vacilla pas.
« Eh bien, tu étais appuyée contre moi, donc je ne pouvais pas vraiment voir grand-chose. Je n’ai absolument pas vu que tu pleurais ou quoi que ce soit. »
Mahiru avait glissé hors de la couverture et souriait doucement.
« … Amane ? »
« Qu’est-ce qu’il y a ? »
« … Merci. »
« Je ne sais pas de quoi tu parles. » Répondit Amane en détournant les yeux. Il ne sentait pas qu’il ait fait quelque chose qui mérite des remerciements.
Mahiru enfouit à nouveau son visage dans sa poitrine.
« Laisse-moi rester ici un peu plus longtemps, s’il te plaît. »
« … D’accord. »
Ce n’était pas comme s’il pouvait écarter Mahiru dans cet état, même s’il en avait envie. De plus, il voulait la soutenir du mieux qu’il pouvait. Calmement, il passa à nouveau son bras autour d’elle et caressa doucement ses cheveux.
Si personne d’autre ne lui dit combien elle est formidable, je le ferai moi-même, pensa Amane. Il voulait qu’elle se sente comme si elle n’avait plus besoin de faire autant d’efforts. Comme si elle pouvait se détendre, maintenant qu’elle était avec lui.
Mahiru devait s’être un peu calmée. Lorsqu’elle leva les yeux vers Amane, elle ne semblait pas aussi contrariée. Mais elle ne paraissait pas particulièrement joyeuse non plus. Elle devait probablement encore avoir beaucoup de choses en tête.
« … Je me demande ce que je devrais faire maintenant. » Murmura Mahiru. Elle lui offrit un sourire préoccupé en plongeant son regard dans les yeux d’Amane.
« Je peux essayer de faire de mon mieux autant que je veux, mais mes parents ne me regardent même pas. Même si les autres me couvrent de louanges, m’appellent l’ange et tout ça, ça ne veut rien dire. Oui, la Mahiru Shiina qu’ils connaissent, l’ange, est idolâtrée et populaire, mais… personne ne se soucie de la vraie moi. Et le pire, c’est que c’est entièrement ma faute. C’est moi qui me suis mise dans cette situation. » Elle sourit amèrement et saisit fermement le tissu du t-shirt d’Amane. « La vraie moi est lâche, égoïste et ennuyeuse, et… il n’y a rien là-dedans à aimer. »
« Moi, je t’aime bien. » Répondit Amane sans réfléchir. Mahiru parut surprise tandis qu’il poursuivait, « Je veux dire, certes, tu n’es pas parfaite à cent pour cent tout le temps, mais je trouve vraiment que tu es charmante, et j’admire toujours ton honnêteté. Tu es trop dure avec toi-même. » Il tendit la main et lui donna un petit coup sur le front. « En plus, si tu étais aussi égoïste que tu le dis, tu ne te soucierais pas de ce que pensent les autres. »
Mahiru semblait sidérée. Mais la tristesse avait disparu de son visage.
Amane ne comprenait vraiment pas pourquoi Mahiru se rabaissait toujours ainsi. N’importe qui pourrait voir par lui-même qu’elle était une personne travailleuse et une fille pleine de cœur. Elle était honnête mais attentionnée, et bien qu’elle se soit qualifiée de lâche, Amane savait que Mahiru avait été tellement blessée auparavant qu’il était logique qu’elle prenne une posture défensive par défaut.
Et puis, si elle était vraiment aussi ennuyeuse, pourquoi Amane se torturait-il toujours pour elle ?
Il aurait juste voulu qu’elle sache à quel point elle était plus charmante lorsqu’elle était elle-même, honnête avec lui.
« Ne te rabaisse pas comme ça. » Dit Amane en plongeant son regard dans les yeux couleur caramel de Mahiru. « Après tout, il y a quelqu’un ici qui a vu la vraie toi et qui t’adore. »
Mahiru était convaincue que personne ne l’aimait. C’était probablement pour ça qu’elle n’avait pas confiance en elle. Mais Amane n’était pas le seul à l’aimer —même Chitose s’était vraiment attachée à elle. Mahiru se trompait manifestement sur elle-même.
Elle détourna les yeux d’Amane, et ses joues commencèrent à rougir alors qu’elle se recroquevillait sur elle-même. Amane se rendit compte de ce qu’il venait de dire et rougit également.
« Je—je veux dire, Chitose et tout le monde pense pareil, hein ! Alors, ne te fais pas d’idées ! » Expliqua Amane frénétiquement. « ‘fin, ce n’est pas que moi, hein. Euh, mes parents, Chitose et Itsuki aussi— ils ont vu les parts de toi qui ne sont pas l’ange que tu prétends toujours être, et ils aiment toujours être avec toi ! Honnêtement, tu es bien plus… enfin, je pense que ta personnalité est bien plus agréable que ce que tu crois. »
Amane n’avait évidemment pas bien expliqué ses pensées. Le visage de Mahiru était toujours aussi rouge. Amane était lui-même assez gêné —après tout, c’était lui qui disait tout ça.
« Donc, voilà, si tu veux arrêter d’essayer d’être parfaite tout le temps, parce que tes parents vont te détester de toute façon, tu es la bienvenue chez moi dès que tu veux. Si mes parents connaissent la situation, ils t’accepteront sans problème. Tu peux le voir comme du temps pour te ressourcer. »
« … Mm. »
« Mes parents t’apprécient vraiment, alors je pense qu’ils te laisseraient probablement rester longtemps… En fait, ils ne te lâcheraient peut-être pas tant que tu ne seras pas remise. Aucun de nous ne peut décider à ta place ce que tu devrais faire avec tes parents, mais on peut s’occuper de toi jusqu’à ce que tu prennes ta décision, et même continuer à te soutenir après. »
« Mm… »
Amane faisait de son mieux pour ne pas paraître mal, mais Mahiru recommença à pleurer.
« P-pourquoi tu pleures ? »
« Je me sens… tellement chanceuse. »
« Je ne sais pas, tu sembles plutôt être le contraire à mes yeux… »
Peut-être que Mahiru avait de la chance en ce qui concernait l’argent, mais à part ça, personne ne lui avait donné quoi que ce soit. Elle n’avait pas reçu un brin de l’amour qu’elle méritait. Honnêtement, c’était un miracle qu’elle ait grandi sans devenir tordue et amère.
Quelqu’un devrait prendre soin de cette Mahiru. Et Mahiru devrait aussi prendre soin d’elle-même. Elle devrait reprendre un peu de ce qu’on ne lui a jamais rendu, pensa-t-il.
« … Dans ce cas, puis-je faire quelques demandes ? »
« Qu’est-ce que ce sera ? Je ferai tout ce que je peux. »
Mahiru sourit un peu. « Ce sont des choses que toi seul peux faire, Amane. » Murmura-t-elle. « Par exemple, regarde-moi plus. »
« Je ne peux déjà plus détourner les yeux de toi. » Répondit-il. « Je suis en admiration devant tout ce que tu fais. »
« Alors, tiens-moi plus. »
Il baissa les yeux vers Mahiru, se demandant si c’était tout.
« Je tiens déjà ta main. »
Mahiru fixa Amane un instant, puis rougit.
« Pour aujourd’hui, tiens-moi avec tout ton corps. »
Dès qu’elle eut terminé sa phrase, elle passa ses bras autour du cou d’Amane et enfouit à nouveau son visage dans sa poitrine. Amane fut un instant surpris, mais il comprit qu’il ne devait pas avoir de mauvaises pensées. Il avala difficilement sa salive et, de nouveau, embrassa doucement son corps délicat.