The angel next door spoils me rotten : chapitre 06-volume 02

La Saint-Valentin

Traducteur: linkfet
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Au début du mois de février, les rumeurs autour du “mystérieux garçon, peut-être petit ami” de Mahiru s’étaient enfin calmées, bien qu’Amane ait imprudemment ravivé les spéculations en venant la chercher à la gare.

                Cependant, une nouvelle idée avait pris racine : celle d’un garçon qui, sans être son petit ami, était très proche d’elle. Certains disaient même que Mahiru avait des sentiments pour ce garçon… Mais elle démentait tout cela avec un sourire amical, mais ferme, ce qui avait fini par faire disparaître les commérages.

                Chitose, qui observait la situation dans les couloirs, avait rapporté à Amane que « ses reniements ne laissaient aucune place au doute ». Il semblait donc que Mahiru était assez contrariée.

                Amane n’en était pas surpris, mais il était un peu peiné d’apprendre à quel point elle rejetait cette idée. Il comprenait néanmoins qu’il n’y avait pas grand-chose à faire : les rumeurs devaient rendre Mahiru folle, surtout qu’elles concernaient un garçon pour lequel elle n’éprouvait pas ce genre de sentiments.

                Tout ce qu’il pouvait faire, c’était sourire, un peu désabusé.

                « En parlant de février… » Lança Chitose.

                « Oh, oui, les examens finaux approchent. » Répondit Amane.

                « Franchement, pour un adolescent, tu manques cruellement d’imagination. »

                Chitose lui lança un regard réprobateur.

                Elle était venue chez lui après les cours —ou plutôt, elle s’était invitée sans prévenir— sous prétexte d’avoir quelque chose d’important à discuter. Amane savait cependant qu’elle voulait surtout passer du temps avec Mahiru.

                Mahiru, justement, était dans la cuisine en train de préparer du thé, laissant Chitose et Amane seuls dans le salon.

                « Je ne sais pas pour les autres garçons, mais penser aux examens me semble tout à fait normal pour un élève… »

                « Un adolescent en pleine jeunesse devrait plutôt penser à la Saint-Valentin, non ? »

                « Je ne suis en pleine rien du tout. »

                « Encore une excuse ! »

                Chitose le regardait avec un sourire malicieux, bien qu’elle sache pertinemment que les rumeurs étaient infondées.

                Amane la fixa du regard, mais son sourire ne bougea pas.

                « Alors, qu’est-ce que tu voulais vraiment me dire ? » Demanda-t-il en soupirant.

                Chitose avait manifestement un sujet précis à aborder avec Amane et Mahiru, mais pas en présence de son petit ami Itsuki.

                « Je voulais te demander quoi faire pour les chocolats d’Itsuki. Au collège, je faisais des chocolats avec un kit, tu sais, ceux où on fait fondre le chocolat et on le met dans un moule. Mais maintenant qu’on est au lycée, j’aimerais faire quelque chose de plus sophistiqué. »

                « Dans ce cas, tu devrais demander conseil à Shiina. »

                Amane, qui n’y connaissait rien en cuisine, ne pouvait pas l’aider. Il pouvait peut-être donner son avis sur les goûts de son meilleur ami, mais Chitose, qui sortait avec Itsuki depuis plus longtemps qu’Amane ne le connaissait, devait déjà savoir ce qu’il aimait.

                « Je vais lui demander aussi, mais je voulais d’abord l’avis de ce qui se rapproche d’un garçon… Tu sais, pour changer. »

                « Je suis un garçon à part entière, pas “ce qui se rapproche d’un garçon”. »

                « Si tu étais vraiment un homme, tu aurais déjà fait le premier pas avec une certaine jolie fille. » Répliqua-t-elle malicieusement.

                « Bon, écoute. » Dit-il en grimaçant. « Je te l’ai déjà dit : on n’a pas ce genre de relation. Et de toute façon, un vrai homme doit attendre d’être en couple avant de tenter quoi que ce soit. »

                « Oh, quelle chevalerie ! Ta maman t’a bien éduqué. »

                Chitose semblait trouver Amane trop rigide, mais lui, estimait qu’il n’y avait rien de mal à prendre son temps. Beaucoup de garçons jouaient avec les sentiments des filles sans les aimer, mais ce n’était pas son cas. D’ailleurs, Amane n’imaginait pas faire ça, surtout si Mahiru n’était pas intéressée.

                Cela dit, il aurait été faux de prétendre qu’il n’éprouvait rien pour elle. Passer du temps avec une fille aussi belle, à la fois extérieurement et intérieurement, réveillait forcément certains sentiments.

                Mais jamais l’idée de tenter quoi que ce soit ne lui venait vraiment à l’esprit.

                Trop de choses le retenaient : la peur de la blesser, la peur qu’elle le déteste ou qu’il ne soit pas à la hauteur.

                De plus, Mahiru avait clairement prévenu qu’essayer quoi que ce soit entraînerait des conséquences sociales graves, sans parler d’une atteinte sérieuse à un certain organe vital. Et Amane était sûr qu’elle ne plaisantait pas.

                « C’est une de tes qualités, Amane. C’est sans doute pour ça que Mahirun te fait confiance. » Dit Chitose.

                Elle avait commencé à surnommer Mahiru “Mahirun”, un petit surnom mignon.

                Mahiru, qui écoutait depuis la cuisine, ne l’avait pas corrigée. Elle devait donc avoir accepté ce surnom, elle semblait préférer cela à être appelée l’ange.

                « Parfois, je me demande si tu es vraiment un homme… » Continua Chitose.

                « Tu veux une preuve ? Regarde à quel point je suis plat. »

                « Tu es trop passif. Un homme doit être un peu audacieux, parfois. »

                « Tu crois que je pourrais avoir l’air audacieux ? »

                « Avec une tenue adaptée, comme les autres fois, ça pourrait le faire. J’aimerais bien voir ça un jour. »

                Itsuki et Chitose avaient depuis longtemps deviné qu’Amane était le fameux “garçon mystérieux” de Mahiru, et il l’avait finalement admis récemment. Il n’y avait donc plus de raison de le cacher. Cependant, Amane n’avait aucune intention de se pomponner uniquement pour leur amusement.

                « Laisse tomber. »

                « Oh, allez, ce n’est pas si grave ! »

                « Je n’ai pas assez de cire pour les cheveux… ni de patience, d’ailleurs. »

                « Espèce de radin ! »

                Quand Mahiru revint de la cuisine avec un plateau contenant trois tasses de thé au lait, Chitose faisait la moue, gonflant ses joues d’un air boudeur. Mahiru sourit en posant le plateau sur la table basse.

                Amane se leva du canapé et alla s’asseoir sur un coussin au sol, invitant Mahiru à prendre la place qu’il venait de libérer. Elle s’assit doucement, avec une expression légèrement gênée.

                « Tu es assez beau pour alimenter les rumeurs. » Poursuivit Chitose. « Imagine à quel point tu serais populaire si tu t’habillais comme ça tout le temps. »

                « Hors de question. C’est trop de boulot, et je ne veux même pas être populaire. »

                « Quoooi ? Même avec la Saint-Valentin qui approche ? Tu ne veux pas recevoir plein de chocolats, Amane ? Par exemple, Yuu est super populaire et il en reçoit plein. Tu n’es pas un peu jaloux ? »

                « Pas du tout. Je finirais diabétique. »

                Par “Yuu”, Chitose faisait sûrement référence à Yuuta. Elle avait une habitude bien à elle de donner des surnoms bizarres aux gens. Heureusement, elle n’en avait pas encore trouvé pour Amane.

                Yuuta, surnommé “le prince”, devait sans doute recevoir beaucoup de chocolats, mais Amane doutait qu’il puisse tous les manger sans prendre du poids.

                « Et puis rien que de penser aux contreparties, c’est déprimant. » Ajouta Amane. « Entre les chocolats donnés par politesse et ceux pour des déclarations d’amour, Kadowaki doit recevoir des dizaines de cadeaux. Ensuite, il doit tout rembourser au triple. C’est un vrai cauchemar pour le portefeuille d’un lycéen. »

                « Comme c’est noble de supposer qu’il va tout rembourser au triple. Eh bien, je vais te donner des chocolats, et tu n’auras pas besoin de t’inquiéter des cadeaux en retour. Tu aimes quel genre ? »

                « Je n’aime pas trop les choses sucrées, donc… quelque chose de pas trop sucré. »

                « C’est noté, je vais trouver une idée. »

                « Ne mets rien d’étrange dedans. »

                « Ne t’inquiète pas, ce sera comestible. »

                « Hé… »

                Amane n’était pas sûr de ce que Chitose préparerait, mais il s’attendait à quelque chose de plus original qu’une simple boîte de chocolats.

                « Mahirun, à qui vas-tu donner des chocolats ? »

                « Aux filles de ma classe avec qui je suis amie. »

                « Pas aux garçons ? »

                « … Si je donne des chocolats, même juste par politesse, ils interprètent mal, alors… »

                « Ah-ha. »

                Amane imaginait facilement le chaos que cela pourrait provoquer parmi les garçons, sans parler des disputes inutiles qui s’ensuivraient. Pour eux, recevoir un chocolat de “l’ange” de l’école serait comme recevoir une bénédiction divine. Si Mahiru distribuait des chocolats, cela causerait forcément des problèmes. Amane ne savait pas si c’était la popularité de Mahiru ou la stupidité des garçons qui était la plus en cause, mais il était évident que Mahiru avait raison d’éviter ce genre de situation.

                « Oh, et je garderai aussi des chocolats pour toi, Chitose. »

                « Youpi ! Je t’adore, Mahirun. Je vais t’en donner aussi. Des vrais, pas comme ceux pour Amane. »

                « J’ai entendu ça ! »

                Chitose, souriante, serra Mahiru dans ses bras.

                Amane était soulagé de voir que son geste ne relevait pas du harcèlement, mais il gardait un œil attentif sur Chitose pour s’assurer qu’elle ne dépassait pas les limites.

                « Je plaisante ! Je vais te donner des chocolats comestibles aussi, Amane. »

                « J’ai l’impression que “comestibles” et “savoureux” n’ont pas le même sens ici… »

                Amane se massa le front, sentant un mal de tête arriver. Chitose, ravie de son dernier plan, ne cachait pas son amusement.

                « Tu vas adorer ton cadeau ! »

***

Le jour de la Saint-Valentin, comme Amane l’avait prévu, l’ambiance à l’école était tendue. Tout le monde semblait nerveux et incapable de se concentrer. Beaucoup pensaient que leur statut social dépendait du nombre de chocolats reçus ce jour-là. La plupart des garçons essayaient de cacher leur impatience, mais Amane, indifférent à ces préoccupations, observait la journée avec détachement. Son attention se tourna vers Itsuki, qui, lui aussi, n’avait pas à s’inquiéter, mais pour une raison différente.

                « On dirait qu’ils sont tous très nerveux. » Dit Amane.

                « C’est vrai. » Répondit Itsuki en regardant calmement la classe.

                « Monsieur Itsuki, en tant qu’homme ayant une petite amie et qui semble parfaitement serein aujourd’hui, que pensez-vous de cette Saint-Valentin ? »

                « Eh bien, Amane, les garçons ont l’air désespérés. Ce n’est pas surprenant, vu que recevoir des chocolats peut avoir un impact énorme sur leur fierté pour les semaines à venir. Et n’oublions pas qu’environ soixante pour cent d’entre eux espèrent secrètement recevoir quelque chose de la part de la charmante Shiina. »

                « … Apparemment, elle ne donne rien aux garçons, même pas des chocolats de politesse. Ça deviendrait ingérable. »

                « Ouais, j’imagine… Au fait, tu penses recevoir quelque chose d’une certaine personne ? »

                « Aucune idée. Je n’ai rien vu qui pourrait le laisser penser. »

                Mahiru donnait des chocolats aux filles, mais pas aux garçons. Amane ne s’attendait donc pas à recevoir quoi que ce soit. Bien sûr, il serait reconnaissant si elle lui en offrait, mais cela ne le dérangeait pas si ce n’était pas le cas.

                Pour lui, la Saint-Valentin n’était qu’une opération commerciale des confiseurs, rien de plus.

                Itsuki, amusé par son désintérêt, lui lança : « Tu es vraiment direct, Amane. » Puis il se tourna vers un coin particulièrement animé de la classe. « Alors ça… C’est quelque chose. »

                Itsuki désignait un jeune homme séduisant avec un sourire captivant, entouré d’un groupe de filles se bousculant pour lui offrir divers sacs et boîtes de chocolats.

                Le cours n’avait même pas commencé, et le sac que le garçon semblait avoir apporté spécialement comme récipient débordait déjà de cadeaux, preuve indéniable de sa popularité incroyable.

                « Je ne sais pas si je dois dire “logique” ou autre chose. »

                « On peut presque sentir la haine des autres garçons. »

                Les garçons, qui lançaient des regards envieux à Yuuta ou fixaient désespérément le vide, n’avaient probablement encore rien reçu de personne. La différence entre leur statut social et celui de Yuuta était flagrante.

                Ça doit être pénible de devoir ramener autant de chocolats chez soi, pensa Amane, se demandant ce qu’il ferait lui-même avec autant de bonbons.

                « Les gars populaires ont la vie dure, hein ? Tu crois qu’il fait quoi avec tout ça ? »

                « Ouais, sérieusement. Je suis impressionné qu’il ne prenne pas de poids. C’est comme ça depuis le collège, mais son physique n’a pas changé. »

                « On voit bien que c’est un gars d’athlétisme. Enfin, au moins, c’est un problème que je n’aurai jamais. »

                « Pas si vite. Chitose a vraiment fait fort cette fois. Tu ferais mieux de te préparer. »

                « Préparer pour quoi ? »

                « C’est une roulette russe. »

                « Arrête ça. Qu’est-ce qu’elle a mélangé dedans ? »

                Leur échange de la veille laissait clairement entendre que Chitose n’avait pas l’intention de faire des friandises normales, mais Itsuki semblait suggérer qu’elle avait utilisé des ingrédients très discutables.

                « Voyons voir, un des morceaux est un chocolat trois-en-un : habanero, wasabi et piment fort. Un autre contient de la gelée concentrée de prune marinée. Et le reste, c’est du chocolat normal. »

                « Qu’est-ce qu’elle a fabriqué ? »

                « Apparemment, elle voulait te surprendre, Amane. »

                D’une certaine manière, il était surpris, mais surtout au bord de l’évanouissement.

                « … Maintenant, j’ai peur de les manger. »

                « Abandonne tout espoir. J’ai déjà traversé ce chemin épineux. »

                « Je parie que tu les as tous mangés pour rigoler. »

                « Peut-être. Tant que c’est Chi qui les fait, je mange tout. »

                « Vous me dégoûtez, tous les deux. »

                Itsuki pouvait avaler tout ce que Chitose lui donnait sans hésiter, mais Amane n’était pas aussi confiant.

                Chitose n’était pas vraiment mauvaise en cuisine, le problème, c’était qu’elle se laissait toujours emporter par ses grandes idées. Elle pouvait parfaitement préparer des plats ordinaires, mais choisissait parfois de créer des catastrophes culinaires.

                Bien que sa principale victime soit Itsuki, Amane était surpris de se retrouver soudain dans sa ligne de mire. Cela dit, d’après l’attitude d’Itsuki, ce ne pouvait pas être si terrible. Malgré les grimaces d’Itsuki, il ne semblait pas y avoir de quoi s’inquiéter.

                Amane ne pouvait tout de même pas s’empêcher de ressentir un étrange sentiment de malaise.

***

« Tiens, Amane, voilà pour toi ! » Dit Chitose, en lui tendant ses chocolats. Elle les avait rejoints dans leur classe après les cours.

                « … Merci. » Répondit Amane, un peu à contrecœur.

                Il ne voulait pas paraître ingrat, mais il était un peu inquiet à propos des chocolats qu’elle avait préparés. Il les mangerait tous, évidemment, mais il n’était pas pressé de tomber sur les morceaux ultra-épicés ou ultra-acides qu’elle avait apparemment cachés dans le lot.

                « Je suis sûre qu’Itsuki t’a prévenu, mais prépare-toi à quelque chose d’excitant ! »

                « Je n’aime pas trop les trucs épicés… »

                « Ce n’est pas si terrible, chochotte ! J’ai goûté tout moi-même. En fait, j’ai trouvé que celui épicé était vraiment bon ! »

                « Ouais, mais toi, t’aimes les trucs épicés… » Gémit Amane. « Pff… »

                Amane n’aimait ni les plats épicés ni les plats acides. C’était comme si Chitose avait délibérément choisi des saveurs qu’il ne supportait pas. D’un autre côté, le reste des chocolats serait sûrement délicieux, alors…

                « Oh, et il y a aussi un chocolat ultra-sucré et un autre ultra-amer mélangés. »

                « Merci pour l’avertissement… » Soupira Amane. C’était bien le genre de Chitose d’ajouter quelques pièges supplémentaires à la dernière minute.

                L’ultra-sucré devait contenir du lait concentré, et l’ultra-amer devait être fait avec du chocolat à quatre-vingt-dix-neuf pour cent de cacao. Cela ne semblait pas si mauvais. Amane supportait mieux les aliments amers que la plupart des gens.

                Apparemment, c’était la première fois qu’Itsuki entendait parler de ça, et son visage se crispa lorsqu’il murmura : « Chi… t’es incroyable… »

                Chitose continua de sourire. « Ça ira. Il y a même un nettoyant pour le palais spécial dans le lot. »

                « Et qu’est-ce que c’est ? » Demanda Amane.

                « Bon, on y va, à plus ! » Sans répondre à la question d’Amane, Chitose prit la main d’Itsuki et partit. Ils avaient visiblement un rendez-vous de Saint-Valentin.

                « Bonne chance, mec ! » Lança Itsuki en s’éloignant.

                Amane poussa un soupir fatigué et leur fit un signe d’adieu. Après les avoir regardés disparaître, il mit son manteau, jugeant qu’il était temps de rentrer, et attrapa son sac accroché au côté de son bureau.

                Amane n’était généralement pas gêné d’être seul, mais aujourd’hui, il ne se sentait pas faire partie de l’atmosphère qui régnait parmi tous ces garçons et filles amoureux. Il hissa son sac sur son épaule et jeta un coup d’œil autour de la classe.

                L’effervescence des échanges de cadeaux semblait enfin s’être calmée. Yuuta était assis, regardant fixement l’énorme pile de présents sur son bureau. Les autres garçons de la classe ne pouvaient qu’envier un tel trésor, et le sac suspendu à son bureau débordait d’encore plus de cadeaux.

                Amane pouvait deviner ce qui pesait sur l’esprit de Yuuta et ne pouvait s’empêcher de ressentir de la compassion pour lui. Il s’approcha du bureau de l’autre garçon.

                « Kadowaki ? »

                « Hmm ? Ah, Fujimiya. Quoi de neuf ? »

                Ils étaient camarades de classe depuis presque un an, donc Yuuta se souvenait du nom d’Amane, bien qu’il ne se fasse pas remarquer en classe.

                Amane n’avait jamais pris l’initiative de parler à Yuuta auparavant, sauf pour quelques travaux de groupe, et l’autre garçon semblait curieux de cette interaction soudaine.

                Amane répondit à sa confusion par un sourire gêné, puis ouvrit la fermeture éclair d’une petite poche à l’avant de son sac.

                « Rien de spécial, juste, tiens— »

                De la poche, Amane sortit plusieurs sacs en plastique de supermarché pliés en triangles compacts et les lança à Yuuta.

                Mahiru les avait mis là et lui avait dit : « Garde quelques-uns de ces sacs dans ton sac. Comme ça, tu les auras toujours sous la main si tu en as besoin. » Il avait imaginé qu’il pourrait les utiliser pour des déchets ou en cas de mal de transport, mais il ne s’attendait pas à ce qu’ils lui soient aussi utiles dans cette situation.

                Yuuta, perplexe devant les paquets étranges, déplia l’un des triangles pour révéler un sac de courses jetable relativement grand. Le plastique ne semblait pas particulièrement durable, mais Amane décida que Yuuta devrait bien gérer.

                « Est-ce que… J’ai mal interprété la situation ? » Demanda Amane.

                « N-non… » Répondit Yuuta. « Tu as bien vu, mais— »

                « Super. Bon courage avec tout ça. » En pensant aux nombreux inconvénients de la popularité, Amane fit un signe de main et quitta la classe.

                Plus tard, Yuuta fut vu dans l’école portant plusieurs sacs de courses remplis à craquer.

***

Bien que ce fût la Saint-Valentin, cela n’avait rien de spécial à la maison, et Amane rentra chez lui pour se détendre comme d’habitude.

                Il était trop tôt pour préparer le dîner, alors il s’installa sur le canapé avec Mahiru. Elle ne semblait ni excitée ni nerveuse, ce qu’Amane interpréta comme un signe qu’elle ne prévoyait rien de spécial pour cette journée.

                Cela ne le dérangeait pas, puisqu’il ne s’attendait à rien de toute façon, mais il ne pouvait pas totalement chasser la légère déception qu’il attribuait à sa fierté masculine.

                « Il y avait une odeur sucrée à l’école aujourd’hui, non ? » Remarqua Amane.

                « C’est la Saint-Valentin. » Répondit Mahiru.

                Amane avait entendu beaucoup de grognements déçus venant des garçons de sa classe. Mahiru n’avait donné des chocolats qu’à ses amies filles —elle n’avait même pas offert de chocolats de politesse aux garçons.

                Amane se demanda pourquoi certains pensaient recevoir quelque chose d’elle en premier lieu… Ce n’était pas comme s’ils avaient une relation quelconque avec elle… mais pourtant, ils avaient de grands espoirs.

                « Enfin, la Saint-Valentin, ça compte vraiment que pour les gars populaires. Ça n’a rien à voir avec les gars moyens comme moi… »

                « Très perspicace. » Remarqua Mahiru.

                « Je ne suis pas particulièrement fier de le dire… » Continua Amane sans qu’on lui demande. « Mais je n’ai jamais reçu de cadeau romantique de qui que ce soit. Enfin, j’ai bien eu des chocolats de politesse… mais ils étaient un peu… »

                « Des chocolats de politesse ? »

                « Apparemment, dans les chocolats normaux, elle a glissé… des concoctions excitantes. »

                Il était impossible de distinguer les chocolats super-épicés, super-acides, super-sucrés et super-amers des autres, et chacun d’eux semblait capable de détruire son sens du goût. Amane avait un peu peur de commencer à manger.

                « Une autre création incroyable… »

                « Eh bien, je vais tous les manger plus tard, mais s’il te plaît, montre un peu de sympathie si tu me vois me rouler par terre en souffrant. »

                « Tu vas tous les manger ? »

                « Le truc, c’est qu’elle les a faits rien que pour moi, alors je me sens obligé de les manger. Puis, ce n’est pas comme s’ils étaient empoisonnés ou quoi. »

                Les chocolats risquaient d’être particulièrement stimulants, mais ce n’étaient pas des poisons, et Chitose avait pris soin de les préparer et de les livrer. Il comptait donc bien tous les manger avec reconnaissance. Cela dit, les ingrédients excitants lui donnaient un peu d’angoisse.

                « … C’est donc ça ? » Murmura Mahiru.

                « Eh bien, je n’ai pas eu d’autres chocolats, et pour un solitaire comme moi, la Saint-Valentin n’a vraiment aucune signification à part une excuse pour manger des bonbons. »

                Amane se contentait d’un seul cadeau de politesse. Il était déjà préoccupé par le jour où il devrait rendre le cadeau à Chitose dans un mois et se demandait ce qu’il pourrait lui offrir.

                Mahiru le fixa en silence.

***

Après le dîner, Amane décida de goûter un des chocolats de Chitose et se retrouva face contre son bureau, en train de souffrir.

                Chitose avait organisé les chocolats dans des compartiments espacés, contenant douze portions. Il y avait quatre variétés de chocolat “surprise”. Cela signifiait qu’il avait une chance sur trois de tomber sur un chocolat qui allait lui donner un choc gustatif. Parmi ceux-ci, le pire était sans doute celui ultra-épicé. Amane pensait pouvoir gérer les autres sans trop de problèmes, mais—

                « Tu en as trouvé un, hein ? » Demanda Mahiru d’un ton compatissant. Elle était allée préparer des boissons dans la cuisine et revint pour voir Amane manifestement en détresse.

                « … Je comptais les manger sur plusieurs jours, et voilà ce que je reçois… »

                Amane but rapidement sa boisson, mais l’intérieur de sa bouche était tellement brûlant. Ce n’était pas juste une faible tolérance pour les épices —c’était une vraie douleur. Ce n’était pas insupportable, mais c’était quand même intense.

                Alors que le piquant du wasabi lui piquait le nez, Amane se dit que c’était impressionnant que Chitose ait réussi à mettre autant de ce composant volatile. Il maudissait son nom tout en essayant de retenir ses larmes instinctives.

                Le wasabi attaquait son nez et ses yeux, tandis que la poudre d’habanero et le piment brûlaient sa langue. Une seule bouchée de ces saveurs intenses —ou plutôt, de ces tortures intenses— suffisait à le détruire.

                « Toutes mes condoléances. » Dit Mahiru. « Mais penses-y comme ça — si tu passes à travers l’enfer en premier, le reste sera un paradis. »

                Facile à dire pour elle. Amane souffrait toujours. Il entendit un léger soupir, puis le bruit de quelque chose de dur posé à côté de lui.

                « Tiens, ça devrait t’aider. »

                Quand il leva la tête, il y avait une tasse à côté de lui, remplie d’un liquide brun foncé, qui dégageait de la vapeur et une odeur sucrée.

                « Du cacao ? »

                « Quelque chose comme ça. C’est du chocolat chaud. C’est du chocolat chaud français. Je l’ai fait assez sucré. Ça devrait t’aider à nettoyer ton palais. »

                « Je suis sauvé… »

                En ce moment, la seule chose qu’Amane voulait, c’était de se débarrasser de cette douleur.

                Quand Amane vida le contenu de la tasse dans sa bouche, une saveur riche enveloppa ses sens. Le liquide avait le parfum délicieux du chocolat intense, mais il n’était pas si sucré. Il avait un goût de chocolat noir et une saveur apaisante qui se buvait très facilement.

                « C’est super. »

                « Je suis content que ça te plaise. »

                Amane sirotait lentement le chocolat chaud, tentant de soulager la douleur dans sa bouche. La portion ne contenait en réalité pas beaucoup du mélange épicé. C’était surtout de la ganache recouverte d’une épaisse couche de chocolat et saupoudrée de sucre glace. Le côté “armée” de la petite douceur avait un grand impact au début, mais l’effet s’estompa au fur et à mesure. Au moment où Amane avait vidé sa tasse, il ne ressentait plus qu’une légère sensation sur sa langue.

                « … Elle a vraiment fait fort… » Se plaignait-il en soupirant.

                « C’était vraiment si épicé que ça ? »

                « Je veux dire, il y avait du poivre, du wasabi et du habanero dedans, donc ouais. Mince… Je suis content que tu aies préparé ce nettoyant pour le palais, mais je crois que je serais mort si j’en avais mangé plus. »

                « Eh bien, je suppose qu’il n’y a pas de mal. »

                « Bon sang. »

                Même s’il maudissait le nom de Chitose dans sa tête, il savait qu’elle avait essayé, à sa manière, de le surprendre, donc il ne pouvait vraiment pas lui en vouloir. Tous les chocolats à part les quatre spéciaux devaient probablement avoir un goût normal, donc ce n’était pas malveillant. Et elle avait même goûté tous les ingrédients exotiques elle-même. Amane ne pouvait que sourire amèrement.

                « De toute façon, le chocolat chaud était une agréable surprise. D’habitude, tu te contentes de lait chaud, non ? »

                « … Oui, eh bien… »

                « Tu as décidé de faire ça parce que c’est la Saint-Valentin ? » Demanda Amane, espérant une réponse positive. Mahiru buvait généralement toujours du lait chaud ou du thé au lait, donc le cacao était inattendu.

                « … Peut-être. »

                « Eh bien, merci. Tu me sauves la vie. »

                Mahiru répondit d’un petit hochement de tête, et Amane laissa échapper un léger soupir de soulagement.

                Il avait pris un risque en posant cette question, et si elle l’avait repoussé, il serait passé pour un idiot. Mais apparemment, il avait vu juste. Mahiru avait voulu faire quelque chose de spécial pour la Saint-Valentin après tout. Amane était sûr qu’il n’y avait pas de signification plus profonde que ça, mais il était tout de même reconnaissant.

                « C’était délicieux. » Dit-il encore.

                Mahiru semblait mal à l’aise.

                « Quelque chose ne va pas ? » Insista-t-il.

                « … Euh, eh bien— »

                « Hmm ? »

                Amane savait qu’être assis à côté d’elle et la presser pour une réponse ne ferait probablement que rendre les choses plus difficiles, alors il choisit de patienter et de l’écouter.

                Mahiru serra l’un des coussins contre la moitié de son visage tout en le fixant anxieusement. Elle avait l’air d’un petit animal étrange et adorable, ce qui fit sourire Amane et lui donna envie de tendre la main pour lui caresser la tête. Il continua à attendre, mais au lieu de continuer sa pensée, Mahiru se contenta de trembler silencieusement.

                Puis, soudainement, elle se leva et attrapa ses sacs.

                « … Je—Je rentre chez moi. »

                Au moment où Amane laissa échapper un bruit de surprise, Mahiru avait déjà quitté le salon. Il resta figé en écoutant le bruit de ses pas s’éloignant, puis celui de la porte d’entrée qui s’ouvrait et se refermait, et enfin celui du verrou qui se tournait. En un clin d’œil, Mahiru était partie.

                Il ne put s’empêcher de laisser échapper un bruit de confusion devant cette rapidité. « Eh… ? »

                Est-ce que j’ai fait quelque chose de mal… ?

                Son cœur était partagé entre la surprise de son départ inattendu et l’inquiétude d’avoir, sans le vouloir, éloigné Mahiru. Il se leva, pensant à ce qu’il ferait si Mahiru était encore de mauvaise humeur lorsqu’il la verrait demain, et alla vérifier la porte d’entrée. Soudain, il aperçut un sac en papier rose pâle suspendu à la poignée de sa porte. Mahiru devait l’y avoir laissé.

                À l’intérieur du sac, il y avait une boîte rose pastel, attachée d’un ruban de couleur chocolat, et une carte fixée sur le devant avec un autocollant. L’écriture était fluide et soignée.

                Merci d’être toujours là pour moi. Accepte ceci avec ma gratitude.

                Amane comprit pourquoi elle avait laissé le sac là. Lui remettre directement le cadeau aurait été trop gênant, surtout après avoir décidé de ne donner aucun chocolat aux autres garçons.

                Elle aurait pu me le donner directement…

                Souriant doucement de la timidité surprenante de Mahiru dans ce genre de situations, Amane se rasseyait sur le canapé et examina le contenu du sac.

                Le papier cadeau adorable lui rappelait le style sophistiqué et féminin de Mahiru.

                Amane estima qu’il était correct d’ouvrir le cadeau et, avec une certaine appréhension, il déballa lentement la boîte.

                À l’intérieur, il y avait des anneaux d’orange confits enrobés de chocolat, chacun emballé individuellement dans du plastique —en d’autres mots, des orangettes.

                Le contraste entre la couleur vive et la brillance profonde du chocolat était éblouissant à l’œil, et la boîte comprenait même quelques orangettes recouvertes de chocolat blanc, ainsi que des versions faites avec des écorces de citron au lieu des oranges. Elles avaient l’air délicieuses, et Amane appréciait la variété.

                Il y avait une seconde carte accompagnant les orangettes.

                Tu n’as pas l’air d’aimer les choses trop sucrées, alors j’ai fait quelque chose qui correspondrait mieux à tes goûts. J’espère que cela te plaira.

                Il se souvint d’une conversation d’il y a une dizaine de jours.

                « Quel genre tu aimes ? »

                « Je ne suis pas vraiment friand des choses sucrées, alors… quelque chose pas trop sucré. »

                Apparemment, Mahiru avait parfaitement retenu sa conversation avec Chitose et avait choisi quelque chose qui correspondait à ses goûts. Amane se sentit soudainement très gêné. Il ne s’attendait à rien du tout, et voilà qu’elle avait sélectionné quelque chose spécialement pour lui. C’était typique de la Mahiru sensible et attentionnée. Amane se sentit rougir rien qu’à l’y penser.

                Il tendit la main et prit une orangette, appréciant les belles couleurs en déballant le bonbon et en prenant lentement une bouchée. Le goût sucré et astringent de l’écorce d’orange confite se mariait parfaitement avec le chocolat agréablement amer dans sa bouche, chaque saveur complétant l’autre dans une splendide harmonie.

                … C’est tellement bon…

                Amane s’émerveilla de voir que les sucreries faites maison par Mahiru étaient bien meilleures que tout ce qu’il avait pu acheter en magasin en prenant une autre bouchée.

                Les orangettes de Mahiru étaient un peu acides, un peu amères —et intensément sucrées.

***

« Hé, Fujimiya, merci pour hier. »

                Le matin suivant, Yuuta s’approcha tranquillement d’Amane à l’école. Il semblait joyeux et amical, mais Amane ne pouvait s’empêcher de se sentir nerveux en lui parlant. Même s’ils avaient brièvement discuté la veille, Amane ne s’attendait pas à ce qu’il prenne la peine de venir lui dire merci juste pour ça.

                Quelques personnes leur lancèrent des regards curieux, ce qui rendit Amane encore plus nerveux. Il n’aimait pas être au centre de l’attention.

                « Oh, t’inquiètes pas. On aurait dit que tu avais du mal. »

                « Eh bien, ouais… » Yuuta avait un regard lointain dans les yeux.

                « Je parie qu’être un mec populaire, c’est vraiment difficile, non ? »

                Yuuta était clairement conscient de sa popularité, mais ce n’était pas le genre de chose dont il se vantait. C’était en partie pour ça que tout le monde l’aimait — et même les garçons les plus jaloux ne pouvaient pas vraiment le détester. C’était le genre de gars qui viendrait te remercier pour quelque chose d’aussi anodin qu’un sac en plastique.

                « Bref, ça m’a bien aidé. Je voulais juste te dire merci. »

                « Pas de quoi. Content d’avoir pu aider un gars dans le besoin. »

                Il n’avait pas proposé son aide pour que Yuuta lui en soit redevable ou quoi que ce soit. Amane sourit pour montrer que ce n’était pas un gros problème, et Yuuta lui sourit en retour, visiblement soulagé. Les filles dans la classe poussèrent des petits cris. Amane ne put s’empêcher de rire amèrement, en souhaitant que Yuuta garde son sourire pour ses admiratrices.

                « Qu’est-ce que tu as fait pour Yuuta ? » Demanda Itsuki après le départ de Yuuta. Apparemment, il avait observé l’échange.

                « Kadowaki avait trop de chocolat, alors je lui ai donné quelques sacs plastiques. »

                « Ah. Donc il s’est retrouvé avec plus que ce à quoi il s’attendait. Il aurait dû venir préparé. » Itsuki sourit avec sympathie.

                Les deux avaient observé Yuuta accumuler les cadeaux et avaient convenu qu’il aurait probablement du mal à rentrer chez lui avec tout ce qu’il avait reçu. Itsuki n’était pas surpris qu’Amane ait décidé d’aider.

                Pour Amane, c’était vraiment juste un petit geste. Rien qui ne vaille la peine de dire merci.

                « Eh bien, c’est tout. Rien de bien important. »

                « C’est bien toi, mec… Mais attends, tu gardes plein de vieux sacs plastiques ? Tu ne t’investis pas un peu trop dans la vie domestique ? Quand je t’ai vu parcourir les publicités de supermarchés sur ton téléphone, j’ai cru que tu étais la femme de quelqu’un. »

                « Hé, comment ça, la femme de quelqu’un ? La dernière fois que j’ai vérifié, j’étais toujours un homme. Bon, je dois admettre que j’ai peut-être été pas mal influencé par tu-sais-qui… »

                Sans aucun doute, il pouvait dire que c’était entièrement la faute de Mahiru. Les deux partageaient les frais de nourriture, donc il avait vérifié les publicités en ligne, pensant qu’il valait mieux avoir les meilleures offres possibles, puis suggérait des plats à préparer avec ce qui était en promotion. Apparemment, cela rappelait plus à Itsuki une femme au foyer qu’un mari. Même s’il laissait toute la cuisine à Mahiru.

                « Ça doit être bien d’avoir un partenaire pour jouer à la maison. »

                « Elle n’est pas vraiment ma partenaire. Et Chitose alors ? »

                « Chi ? Eh bien, tant que je peux l’empêcher de se laisser emporter par ses expériences bizarres, pourquoi pas. Je veux dire, elle sait cuisiner, c’est sûr. »

                « … Elle fait ne jamais rien qui ne soit pas bizarre ? »

                « C’est juste une partie de son charme, d’accord ? » Les yeux d’Itsuki allèrent d’un côté à l’autre.

                « Fais comme tu veux, mec. »

                Pour le meilleur ou pour le pire, il était rare qu’il y ait un moment ennuyeux quand on était avec Chitose. Elle pouvait sembler être une lycéenne ordinaire, et apparemment, elle avait même quelques talents surprenants à la maison, mais dès que l’humeur la prenait, elle risquait de provoquer toutes sortes de problèmes.

                « Eh bien, on dirait qu’elle va se ressaisir une fois qu’on sera mariés, donc— »

                « Combien de temps tu penses que ça va prendre avant que ton père ne l’accepte… ? »

                Le père d’Itsuki, qui était étrangement strict en matière de rencontres, d’une manière qu’on ne voyait plus beaucoup aujourd’hui, n’avait jamais approuvé Chitose. Il aurait forcément quelque chose à dire s’il apprenait qu’ils envisageaient de se marier.

                Les parents de Chitose, en revanche, étaient apparemment prêts à accueillir Itsuki dans la famille à tout moment, ce qui avait toujours dérouté Amane… N’était-ce pas généralement l’inverse ?

                « Eh bien, une fois qu’on sera adultes, il devra bien se faire une raison. Je vais le menacer de ne pas voir ses petits-enfants et tout ça. C’est une bataille où je ne peux pas céder et juste faire ce que mon père veut. »

                Itsuki haussait les épaules comme s’il n’en pensait pas grand-chose, mais Amane remarqua le regard sérieux dans ses yeux. Il n’avait manifestement pas l’intention de reculer sur cette question.

                Amane avait toujours compris l’étendue de l’amour qu’Itsuki portait à Chitose, alors il choisit de les encourager, admirant à quel point c’était incroyable qu’ils pensent au mariage même s’ils étaient encore au lycée.

                « … Eh bien, je pense que tu es probablement du genre à ne pas reculer avant d’avoir mis une bague à son doigt, alors je te souhaite bonne chance. »

                « Ouais. Et bonne chance à toi aussi. » Répondit Itsuki.

                « Pour quoi ? »

                « Je veux dire, avec tu-sais-qui… Non ? »

                « … Je n’ai pas vraiment ce genre de relation avec elle. Ne raconte pas n’importe quoi. »

                Amane tourna la tête brusquement, mais il entendait les rires joyeux d’Itsuki.

***

Amane acheta tout ce dont il avait besoin au supermarché et rentra chez lui. Lorsqu’il arriva, Mahiru était déjà dans son appartement, assise sur le canapé, attendant à son endroit habituel. Elle avait les genoux remontés et serrait un coussin contre sa poitrine. Cette position la faisait paraître un peu enfantine, mais son expression n’était ni renfrognée ni maussade. Au contraire, elle semblait gênée.

                Eh bien, heureusement qu’elle porte une longue jupe, pensa Amane en détournant soigneusement les yeux pour mettre les ingrédients du dîner dans le réfrigérateur. Lorsqu’il revint dans le salon, Mahiru était toujours là, attendant patiemment.

                Lorsqu’Amane s’assit à côté d’elle, Mahiru détourna soigneusement les yeux.

                « Mahiru, merci pour le cadeau d’hier. C’était vraiment délicieux. »

                « … Je suis contente de l’entendre. »

                Amane pensa que si elle était nerveuse à propos de ce qui s’était passé hier, le mieux était de lui montrer combien il appréciait ce geste. Mahiru continua de serrer le coussin sans rien dire d’autre.

                « Que voudrais-tu en retour ? » Demanda Amane.

                « Ce n’est pas pour ça que je t’ai donné ça… »

                « Je sais, mais bon, un service pour un service, non ? Ce ne serait pas très galant de ma part si je ne fais que prendre, prendre et prendre. »

                Amane pensait qu’un homme devait toujours s’efforcer de rendre ce qu’il recevait. Puisque Mahiru avait pris la peine de lui préparer de si délicieuses friandises, il comptait lui offrir quelque chose d’aussi spécial en retour. Elle n’avait pas fait de chocolats pour n’importe quel garçon, après tout, mais pour lui, en particulier. Cela avait dû demander beaucoup de travail, tout ça pour lui.

                « … Je reçois déjà tellement de choses de ta part, Amane. »

                « En réalité, je suis plutôt sûr d’être celui qui reçoit. Tu cuisines toujours pour moi et tout. J’ai l’impression de profiter de toi. »

                « Je fais ces choses parce que j’aime les faire. Amane, tu ne te rends probablement même pas compte de tout ce que tu as fait pour moi. Mais pour moi, j’ai déjà reçu plus que ce qu’il me faut, donc je n’ai rien d’autre à demander. »

                Amane n’arrivait vraiment pas à imaginer ce qu’il pourrait bien offrir à Mahiru. Il semblait qu’elle faisait toujours des choses pour lui, et il voulait la remercier pour toute sa gentillesse… mais apparemment, le calcul de Mahiru était bien différent.

                « Eh bien, je vais essayer de trouver quelque chose qui te plairait. »

                Peu importe ce qu’Amane avait pu faire pour elle jusque-là, il voulait lui offrir un cadeau pour le White Day. Après tout, c’était la tradition de rendre les chocolats reçus lors de la Saint-Valentin à ce moment-là.

                Amane la fixa fermement, lui montrant qu’il n’avait pas l’intention de céder, jusqu’à ce qu’elle hoche la tête, ses yeux fuyant un peu autour de la pièce.

                « … D’accord. »

                « Parfait, j’ai environ un mois pour trouver ce que je vais te donner. Ce serait génial si je pouvais trouver quelque chose que tu aimerais vraiment. »

                « … Tu as le temps pour une recherche pareille ? » Demanda Mahiru, semblant légèrement exaspérée. « La semaine prochaine, on a les examens finaux, et juste après, il y a la cérémonie de fin d’année. »

                Effectivement, les examens étaient dans quelques jours.

                L’école avait encore un peu l’air de la Saint-Valentin ce jour-là, mais bientôt, ce serait remplacé par cette atmosphère anxieuse d’avant-examen.

                Amane n’était pas particulièrement nerveux à ce sujet.

                « Si les examens se passent comme d’habitude, je suis sûr que je vais réussir, donc je ne vais pas m’en faire maintenant. Toi aussi, je parie. »

                « C’est vrai. » Répondit Mahiru. « Je veille toujours à terminer mes travaux à l’avance. »

                Amane était toujours assidu pour ses devoirs, donc il n’avait jamais de problème avec les tests. Il savait qu’il pourrait maintenir ses notes habituelles sans avoir à faire des révisions de dernière minute. Au maximum, il passait un peu plus de temps à revoir la matière juste avant chaque examen.

                Mahiru avait déjà terminé tous les cours à l’avance, et elle était tout aussi assidue qu’Amane, donc il ne l’avait jamais vue paniquer pour ses études. En fait, les jours d’examen avec leurs horaires raccourcis étaient probablement comme des demi-journées pour elle.

                « Eh bien, n’attends pas trop de moi. »

                « … D’accord. Je chérirai tout ce que tu me donneras. »

                « Hé, ne t’emballe pas. »

                « Je prends bien soin de Monsieur Ourson. »

                « Je suis content de l’entendre. » Amane sourit.

                Apparemment, Mahiru chérissait vraiment l’ours en peluche qu’il lui avait offert pour son anniversaire. Il l’avait aussi vue utiliser le porte-clés, et il semblait qu’elle en prenait soin aussi. Il s’était un peu inquiété de savoir comment l’ours se portait, mais… à en juger par les signes, Mahiru l’appréciait vraiment.

                Amane sentit son sourire s’élargir en entendant Mahiru parler de Monsieur Ourson, mais il se força à adopter un visage plus neutre, de peur qu’elle ne le gronde s’il affichait son sourire.

                Si on continue à traîner ensemble d’ici son prochain anniversaire, qu’est-ce que je pourrais bien lui offrir… ? pensa-t-il avec anxiété.

                Soudain, Amane remarqua que Mahiru le fixait.

                « … À propos, je ne sais même pas quand est ton anniversaire. » Dit-elle.

                « Mon anniversaire ? C’est le 8 novembre. »

                Il faut croire que je ne lui en ai jamais dit, hein ?

                Quand Mahiru entendit la date, ses yeux se rétrécirent… à peine. Ils avaient passé beaucoup de temps ensemble ces derniers mois, alors Amane avait appris à reconnaître cette expression : c’était celle qu’elle avait quand elle était en colère ou contrariée.

                « … Hé, Amane ? »

                « Hmm ? »

                « On se connaissait déjà à ce moment-là, non ? »

                « Ouais, je suppose. »

                « Pourquoi tu ne m’as rien dit ? »

                « Parce que tu ne me l’as jamais demandé. Et toi, tu ne m’as pas dit la tienne, souviens-toi. Je l’ai su en la voyant sur ta carte d’étudiant. »

                « Ugh… »

                « Et on n’était même pas proches à l’époque, de toute façon. Si je t’avais dit mon anniversaire, tu te serais demandé pourquoi je t’en parlais. »

                Amane ne voulait pas passer pour quelqu’un qui attendait un cadeau ou quoi que ce soit. Il n’avait donc pas vu l’intérêt de parler de son anniversaire —à l’époque, ils n’avaient pas encore ce genre de relation.

                « … Mais… » Commença Mahiru.

                « Tu n’as vraiment pas à t’inquiéter. » Insista Amane.

                « Bon… » Dit Mahiru. « Mais cette année, on fêtera ton anniversaire correctement. » En disant cela, elle se tourna vers lui et attrapa fermement sa manche.

                Mahiru ne voulait manifestement pas que cette situation inégale continue. Il n’avait jamais vu quelqu’un aussi déterminé à fêter un anniversaire.

                Amane ne put s’empêcher de sourire, pas son sourire habituel et ironique, mais un sourire sincère et heureux.

                Après tout, rien ne pouvait le rendre plus heureux que d’entendre que Mahiru ressentait la même chose que lui… et qu’elle pensait à passer du temps ensemble à l’avenir.

                « Alors, tu comptes rester avec moi au moins jusqu’à ce moment-là, hein ? » Plaisanta-t-il.

                Les yeux brillants de Mahiru s’écarquillèrent un instant, puis, en un éclair, son visage devint rouge, et là où elle tenait sa manche un moment plus tôt, elle lui asséna un coup avec le coussin, apparemment pour cacher sa gêne. Amane ne put s’empêcher de sourire à nouveau, touché par son côté adorable.

                « … Eh bien, je suppose que l’idée ne me déplaît pas… Je me sens toujours tellement calme quand on est ensemble. C’est agréable. »

                « Ah vraiment ? Merci. »

                « Mais tu sais que je n’ai pas vraiment… d’autres intentions. »

                « Je savais déjà. » Amane hocha la tête. « Et ça me va. »

                Pour une raison quelconque, Mahiru sembla légèrement déçue.

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