Elle était suffisamment proche de la scène pour pouvoir assister au spectacle, mais elle disposait également de plus d’espace libre autour d’elle que la plupart des autres sièges.
Se rendant compte de sa bévue, Kamila rit tout au long du trajet en tenant le bouquet.
“Désolée, je ne voulais pas être impolie. Où dois-je mettre ces fleurs ?”
Avant qu’elle n’ait terminé sa phrase, un serveur a apporté un vase tandis qu’un autre a porté une troisième chaise pour que le bouquet puisse répandre son parfum sans se trouver entre les deux. Kamila n’a pas manqué de remarquer que le personnel était trop aimable et la table trop bonne pour deux nouveaux clients.
Les mots de sa mère ont commencé à résonner dans son esprit et ont rendu son visage sombre.
“Sois honnête. Est-ce que j’ai vraiment l’air d’une croque-mort ?” Lith prit son expression pour de la désapprobation et se maudit de ne pas avoir suivi le conseil de sa sœur de s’habiller avec des couleurs claires.
“Quoi ? Non. Ça te va bien, mais avec tes chaussures, j’enlèverais la veste. Tu es un peu trop habillé.” Dit-elle tout en souriant à nouveau à cette étrange question.
“Comment s’est passée ta journée ?” demanda Lith après avoir remarqué que quelque chose n’allait pas.
“Elle a plutôt mal commencé, mais ça va mieux. Et toi ?”
“Jusqu’à présent, tout va bien. Au moins aujourd’hui, personne n’a essayé de me tuer.” Soupira-t-il tandis qu’un serveur leur apportait les menus.
“Aujourd’hui ? Et hier ?” Lith lui parla de l’abomination dans les bois de Trawn sur le même ton qu’il avait utilisé pour passer leur commande.
“Comment peux-tu être aussi calme ? Tu as failli mourir deux fois en autant de jours.”
“Je te l’ai déjà dit. Ma vie est assez folle. Si tu avais lu mon dossier personnel, tu saurai dans quel pétrin tu te met.” Répondit-il avec un sourire triste alors que le groupe commençait à jouer ce qui ne pouvait être considéré que comme du bruit pour Lith.
“Comme tu le dis toujours, ne parlons pas de choses tristes. Que penses-tu de la musique ?”
“Ils sont bons.” L’expression choquée de Lith à sa réponse la fit rire de bon cœur. “Pourquoi cette tête ? Tu ne l’aimes pas ?”
“Pas beaucoup. Le son est bon, mais il n’a pas d’âme.”
Lorsque leurs assiettes furent arrivées, ils commencèrent à parler de leurs projets respectifs pour l’avenir. L’objectif de Kamila était de gravir les échelons de l’armée. Devenir colonel était son rêve, mais elle savait que si elle n’accomplissait pas quelque chose de grand, cela arriverait trop tard dans sa vie pour avoir de l’importance.
“Si la vie était un conte de fées, je dirais que je veux devenir le premier général sans magie du royaume. Malheureusement, le grade de colonel est le plafond, même pour les génies.”
Lith ne savait pas quoi répondre. Il n’avait pas de grands rêves ou d’ambitions à part se débarrasser de son problème de réincarnation. Il aspirait au pouvoir et à l’argent, mais seulement parce que c’était le moyen d’arriver à ses fins.
Il était prêt à tout pour atteindre son but, mais il n’avait jamais cessé de réfléchir à ce qu’il ferait s’il y parvenait.
“J’aimerais enseigner dans une académie.” C’est tout ce qui lui vint à l’esprit. “Mais d’abord, il y a quelque chose que je dois faire. C’est la raison pour laquelle je suis devenu Ranger. J’ai besoin de l’armée pour obtenir les moyens de guérir un ami très cher.”
Kamila n’a pas cru une seconde à la partie “ami”, mais elle n’a pas insisté davantage. Pendant ce temps, le groupe proposait aux clients de participer au spectacle.
“Pourquoi ne pas aller leur montrer comment on fait ?” Plaisantât-elle
“A condition que tu me promettes que quoi que tu entendes et voies, tu ne te moqueras pas de moi.” Répondit-il en la prenant par surprise et en lui tendant la main.
“Marché conclu.”
Lith monta sur la tribune sous les applaudissements et prit l’équivalent mogar d’une guitare espagnole des mains d’un musicien. Il demanda au groupe de ne pas l’accompagner et commença à jouer.
Ou mieux, il commença à tricher. Lith ne savait ni chanter ni jouer, mais il avait appris des bêtes magiques à utiliser la magie de l’air pour reproduire le son qu’il voulait.
Il lui fallut toute sa concentration pour interpréter une version légèrement modifiée de “The Noise of Silence” de Shimon et Carbuncle. C’était l’une de ses chansons préférées de la Terre. Elle ne nécessitait qu’une guitare et donnait l’impression de parler de lui.
Il ne regarda pas Kamila, pas même une fois. Il était trop occupé à essayer de pincer des cordes au hasard tout en suivant le rythme. Lorsqu’il eut terminé, le leader du groupe serra la main de Lith et murmura :
“J’espère que ta copine ne joue d’aucun instrument, car quoi que tu aies fait, tu n’as pas réussi une seule corde. Bonne chance.”
“Je n’ai pas besoin de chance.” répondit Lith avant de retourner à sa table.
“Ça t’a plu ?” demanda-t-il avec un regard plein d’attente.
“C’est beau mais très triste. Je ne t’aurais jamais pris pour un poète et un musicien.” Ses yeux étaient un peu larmoyants, elle avait l’impression que la chanson parlait d’elle aussi.
“Je ne suis ni l’un ni l’autre. C’est quelqu’un d’autre qui a écrit les paroles.” Gloussa Lith en lui expliquant le truc derrière sa performance.
“Eh bien, tu as du culot.” Elle ne put s’empêcher de rire en voyant que les gens étaient tombés dans le panneau et regarda Lith avec admiration.
“Il y a une chose que je ne comprends pas. Pourquoi se donner tout ce mal pour ensuite me dire la vérité ? Aussi tape-à-l’œil que soit un tour de magie, une fois son secret dévoilé, il perd de son éclat.”
“Parce que je voulais t’impressionner.” Murmurât-il avec un sourire chaleureux. “La magie, ce n’est pas seulement faire exploser des trucs ou guérir des gens. La beauté de Mogar, c’est que la magie est partout. Elle joue un rôle important dans ma vie. D’une certaine manière, elle définit qui je suis.”
“C’est ce que je veux dire quand je dis que je voulais t’impressionner. Pas par la musique ou les rimes, ce n’est pas moi. Je suis un mage, donc j’ai utilisé la magie pour partager quelque chose que j’aime. Quant à la vérité, l’expérience m’a appris que commencer une relation sur un mensonge ne marche jamais.”
Ils passèrent le reste de leur dîner à bavarder, mais cette fois Kamila demanda l’addition dès qu’ils eurent fini de manger. Lith prit la boîte de bonbons tandis qu’elle portait les fleurs et l’accompagna jusqu’à la Porte Warp la plus proche.
Elle tripota le panneau de contrôle pendant si longtemps que Lith commença à craindre qu’elle soit trop ivre pour se souvenir de sa propre adresse.
‘Bizarre. On a encore moins bu que la dernière fois.’ Pensa-t-il.
“Il est encore tôt. Veux-tu venir chez moi pour prendre une tasse de thé et un en-cas ?” Demande-t-elle en montrant la boîte.
“J’en serais ravi.” Répondit Lith un peu trop vite, réalisant qu’elle était complètement sobre.
La maison de Kamila était un appartement de deux pièces. La cuisine et le salon partageaient le même espace. Il n’y avait que deux portes fermées, qui devaient mener à la salle de bain et à la chambre à coucher.
“Veux-tu préparer le thé pendant que je trouve un endroit pour les fleurs, ô grande personne ? Tout ce dont tu as besoin est à portée de main.”
Lith remplit la théière d’eau et la mit sur le feu. Tout fonctionnait avec des cristaux magiques, ce qui donnait l’impression d’une cuisine moderne.
“Tu aimes ton thé fort ou léger ?” Demanda Lith en choisissant la quantité de feuilles et de menthe.
“Les deux me conviennent.” Répondit-elle
Lith se retourna, découvrant qu’elle se tenait juste derrière lui. Les trois premiers boutons de sa chemise étaient défaits, révélant une bonne partie de sa poitrine.
‘C’est au moins un bonnet C…’
Au moment où Lith a levé les yeux pour rencontrer ceux de Kamila, celle-ci l’a pris dans ses bras. Une main derrière sa tête et l’autre sur son cou, elle obligea Lith à se pencher et l’embrassa. Doucement d’abord, comme une écolière à sa première tentative maladroite.
Il ne la lâcha pas, l’attirant plus près de lui tandis qu’elle l’embrassait avec une passion grandissante jusqu’à s’accrocher à lui comme à un canot de sauvetage dans la tempête qu’était sa vie. Sa bouche parvint à écarter ses lèvres frénétiques à la première tentative, ce qui fit trembler leurs deux corps.
Et puis, aussi soudainement que cela avait commencé, elle s’éloigna de lui.
“Attends.” dit Kamila d’une voix tremblante.
“Trop rapide ?” demanda Lith sans prendre la peine de cacher sa déception.
“La chambre est par là.” Bafouilla-t-elle en désignant la seconde porte fermée tandis que ses jambes s’enroulaient autour de sa taille, amenant leurs visages au même niveau avant de recommencer à embrasser Lith.
