the beginning after the end Chapitre 530

Célébrations et Révélations

Traducteur : Ych

—————-

ARTHUR LEYWIN

Faisant tourner la pierre dans ma main, je contemplai les fissures qui couraient profondément à travers sa surface multifacette. Une seule impulsion de puissance, et elle avait été brisée. Mais c’était nécessaire. Un petit sacrifice, tout bien considéré. Après tout, une fois sa mission accomplie, à quoi pouvait-elle encore servir ?

J’envisageai de faire appel au Requiem d’Aroa. En y faisant passer de l’éther avec l’art d’aevum, je pourrais remonter le temps et restaurer la relique. Mais j’hésitai. Avec un soupir, je posai la pierre sur la table de chevet à côté de mon lit et me redressai, observant la pièce comme si je la découvrais à nouveau.

La chambre principale de ma nouvelle maison était un espace ouvert et vaste. Le lit à baldaquin, bien trop grand, dominait un mur, tandis que le mur adjacent était un panneau transparent de mana qui servait à la fois de fenêtre et de porte, me permettant de passer sur le balcon qui entourait ma nouvelle demeure, à l’extérieur d’Ashber. En ce moment, toute la propriété était plongée dans l’ombre projetée par l’un des anneaux d’Epheotus, mais je savais que cela passerait dans les prochaines minutes, avant que tout le monde n’arrive.

Une cascade dévalait le mur opposé, remplissant un bassin qui s’écoulait vers d’autres parties de la maison, la purifiant magiquement au passage. Il y avait deux bureaux jumeaux pour Tessia et moi, avec dans un coin une statue grandeur nature, parfaitement reproduite, de Wren Kain IV—que je comptais déplacer dans un endroit bien moins envahissant après le départ de tout le monde.

Le domaine était bien plus luxueux que ce à quoi j’étais habitué. Plus grand et plus grandiose que la maison des Helstea à Xyrus, plus confortable que le château volant, et plus magique que le palais elfique de Zestier, il ne me semblait pas encore vraiment être chez moi après seulement quelques semaines.

Je traversai le mur de mana et sortis sur le balcon, qui donnait sur un vaste lac et, au loin, sur les Grandes Montagnes. En tournant un peu plus au sud, je pouvais voir la fine ligne de la Flèche, à des centaines de kilomètres, mais s’élevant jusqu’aux Anneaux d’Epheotus suspendus au-dessus, comme si elle les soutenait dans les airs.

Le domaine et les terres environnantes se trouvaient exactement là où se trouvait la petite ferme rurale de mes parents—celle que j’avais fait exploser en m’éveillant à l’âge de trois ans. La majeure partie d’Ashber avait été abandonnée dans les dernières phases de la guerre, et le groupe d’amis et de connaissances qui avait organisé tout cela avait racheté la moitié de la ville en mon nom. Maintenant, je voyais passer une douzaine de charrettes chaque jour alors que les gens revenaient s’installer.

Je ne savais toujours pas quoi en penser. Je n’étais pas particulièrement habitué ni à l’aise avec le fait de recevoir des cadeaux, alors qu’on m’ait offert un manoir immense, luxueux au-delà des mots, et la campagne alentour…

Riant de mon propre malaise, je me penchai sur la rambarde et regardai le lac, observant une ombre massive passer juste sous la surface, un éclat doré brillant à travers l’eau trop bleue. Boo était assis sur la rive, tapotant l’eau d’une énorme patte comme s’il espérait attraper le gigantesque poisson doré qui occupait le lac conjuré.

Les Glayder, par l’intermédiaire de leurs agents, avaient organisé l’acquisition des terres autour du petit terrain appartenant à ma mère. Les seigneurs nains avaient constitué un fonds pour l’entretien et la gestion des terres tant qu’un Leywin y vivrait. Une grande partie du manoir avait été « cultivée », non construite, par une équipe de titans et de hamadryades travaillant de concert avec des elfes envoyés d’Elenoir. Les éléments magiques étaient tous alimentés par d’énormes cristaux de mana donnés par Seris après leur récupération dans le trésor d’Agrona. Veruhn lui-même avait façonné le lac et l’avait rempli avec de l’eau de l’océan près de chez lui, désormais une bande d’eau longeant un bord de l’Anneau le plus bas d’Epheotus. Au nord du lac se trouvait un champ plein de wogarts, offert par Alaric et Darrin.

Ce n’étaient là que quelques-unes des caractéristiques, cadeaux et ajouts apportés à ma nouvelle maison. « Pas mal comme endroit pour poser ses bottes après avoir sauvé le monde, » avait dit Regis la première fois qu’on l’avait vue. Maman avait fondu en larmes, tandis qu’Ellie, encore un peu déboussolée après son séjour dans la dimension de poche, avait demandé un peu trop franchement si elle devait déjà se préparer à voir de petits Arthur et Tessia courir partout dans le manoir…

Je souris à ce souvenir.

Il y avait des chambres permanentes pour Maman, Ellie et Sylvie, et plusieurs chambres d’amis—même si ce ne serait pas suffisant pour loger tous les invités attendus dans les prochains jours.

Me retournant, je regardai à travers le mur de mana la chambre que je partageais désormais avec Tessia. Cela ressemblait à un rêve. Comme si ce n’était pas tout à fait réel—comme si je ne devais pas y croire. Le Destin allait me retirer le tapis sous les pieds à tout moment et me réveiller. Elle était partie, et je n’arrivais jamais à me défaire complètement de l’idée que chaque fois que je la voyais pourrait être la dernière. Et si elle ne revenait pas ?

Mes pensées revinrent à la pierre et, un instant, je fus de nouveau tenté de la restaurer avec le Requiem d’Aroa, pour m’en servir afin de vérifier où elle était. Et si—

Je chassai cette impulsion. Elle est juste partie en ville faire des courses. Même si nous avions désormais quelques employés, bien payés pour nous aider, Tessia avait insisté, emmenant Ellie avec elle pour un « moment de complicité ». Je comprenais. Cela faisait du bien de faire quelque chose d’aussi banal que d’aller au marché d’Ashber, après tout le reste.

Garder le contrôle de mon esprit avait été difficile. L’envie d’utiliser constamment le Gambit du Roi était quelque part entre une addiction et la sensation fantôme d’un membre manquant. Sans lui, je me sentais dispersé et distrait.

Mes doigts pressèrent mon sternum, sans rien faire pour apaiser la douleur de mon noyau. Je n’avais pas utilisé de magie depuis mon retour d’Alacrya. Le noyau ne tirait plus d’éther, et mon réservoir était presque entièrement épuisé. Même si je n’en avais pas la preuve, je sentais instinctivement que lorsque le dernier éther serait parti, le noyau se désintégrerait, et je…

Me raclant la gorge, je me redressai un peu, puis quittai le balcon pour m’enfoncer plus loin dans la maison. Toutes les pièces de l’étage étaient reliées par une mezzanine qui donnait sur l’atrium. Un arbre poussait à partir d’un rond de terre du mont Geolus, ses branches larges couvertes de feuilles roses et de fruits arc-en-ciel scintillants. Même si je savais que les fruits étaient pleins de mana, je ne pouvais plus le sentir sans Realmheart.

Ça en valait la peine, me dis-je, une phrase devenue une sorte de mantra ces dernières semaines. Chaque fois que je levais les yeux vers les Anneaux d’Epheotus ou que j’apercevais la Flèche. Ou que je sentais mon noyau frémir. Ou que je regardais ma mère, ou ma sœur. Ou Regis, ou Sylvie. Ou que je me rappelais le contact fantomatique de l’esprit de mon père sur mon épaule.

Quoi qu’il arrive désormais, quel que soit le prix à payer, cela en aurait valu la peine.

« Arthur ? »

Je réalisai que je m’étais arrêté, perdu dans mes pensées en contemplant les branches de l’arbre épheotan, un cadeau du clan Inthirah. Maman était sortie de sa chambre sans que je l’aie entendue ouvrir la porte.

« Tu as bien dormi ? » demandai-je, essayant de sourire pour lui montrer que j’allais bien.

Elle leva les yeux au ciel.
« Je lisais. Je ne voulais pas m’assoupir. » Elle bâilla et s’étira, levant les bras au-dessus de sa tête.
« J’imagine que c’est ce que l’âge fait. »

Riant doucement, je pris son bras et nous descendîmes ensemble, où notre cuisinière, Hela, avait préparé un léger déjeuner. Hela était une jeune femme qui avait grandi à Ashber et perdu toute sa famille lors de l’attaque contre la caravane de Lilia. Elle était venue droit vers les asuras qui façonnaient la maison et avait exigé de savoir si nous allions embaucher du personnel, et Maman l’avait engagée avec enthousiasme.

Nous bavardâmes en mangeant au comptoir de la cuisine—plutôt qu’à la grande table de la salle à manger—et le premier coup frappé à la porte retentit alors que nous finissions à peine.

« Je m’en occupe ! » lança Maman à la maisonnée, puis se précipita hors de la cuisine.

Riant, je nettoyai rapidement et la suivis, m’appuyant contre le mur de l’atrium alors que Maman ouvrait la porte d’entrée avec excitation. Jasmine, Helen et Durden se tenaient dans l’embrasure, et un instant, un souvenir me submergea, comme si je revoyais tous les Twin Horns : Adam Krensch, souriant et se décoiffant ; Angela Rose, rayonnante et déjà prête à me serrer dans une étreinte étouffante ; et… Papa, sans barbe et jeune, riant et taquinant Adam.

« Ah, je suis tellement contente que vous ayez pu venir. J’avais peur qu’en étant à la retraite, vous ne soyez pas partants pour le voyage. »

Le visage de Jasmine se plissa dans une fausse moue, ses yeux rouges pétillant d’amusement.
« Peut-être qu’on a dû un peu le forcer. »

« Je n’ai qu’un bras, il faut faire attention ! » plaisanta Durden, son rire me ramenant aussitôt dans les Grandes Montagnes, à camper et écouter mon père discuter et rire avec Durden et les autres.

Helen serra Maman dans ses bras et grogna d’un air fatigué, faussement accablée.
« S’il te plaît, Alice, dis-moi que tu as quelque chose de très fort et très cher pour me remettre de ce long voyage avec ces deux-là. »

Maman gloussa, rajeunie de quinze ans.
« Helen, ma chère, tu n’as pas idée. »

Jasmine tapota Maman en passant et regarda autour d’elle, les sourcils levés jusqu’à la racine des cheveux.
« Eh bien. Sacré endroit. » Puis elle me remarqua enfin.
« Ah, mon bon à rien de protégée. Déception du siècle. Tu n’as rien accompli, n’est-ce pas ? Rien du tout. » Sa bouche tremblait d’un sourire à peine contenu.

Je lui répondis par un soupir théâtral en me détachant du mur, la tête basse.
« Tu as entièrement raison. Je n’ai jamais fini l’école, j’ai échoué à deux postes d’enseignant différents, j’ai quitté ma formation à Epheotus trop tôt… »

Elle ricana et lança quelque chose qui brilla dans l’air.

Je rattrapai la dague par le manche et la regardai, perplexe.

« Une de mes originales, qui date de notre entraînement sur la route d’Ashber à Xyrus. » Elle baissa les yeux, un peu gênée.
« Je me suis dit que tu voudrais peut-être l’avoir. Tu sais, l’accrocher quelque part dans ce manoir indécent, pour te rappeler quand tu n’étais qu’un gamin trop confiant et bizarre. »

Un rire me monta du ventre, dissipant une partie de ma tension.
« Jasmine, je te préférais quand tu parlais à peine. »

« Ça, c’est une déclaration de guerre. » Elle prit une posture de combat et bondit sur la pointe des pieds comme une boxeuse.

« Allez dehors, vous deux ! » lança Maman, se mordant la lèvre pour ne pas sourire.

« C’est ma maison, » répliquai-je, mais je bondis, attrapai Jasmine par la cheville et la fis tomber, puis je filai dehors, laissant la dague dans les mains de Maman.

Maman cligna des yeux alors que Jasmine poussait un « ouf ! » en touchant le sol, puis elle se lança à ma poursuite, portée par le vent sous ses pieds.

« Des enfants, » entendis-je Helen marmonner, suivie d’un rire sonore de Durden, avant que la porte ne se referme.

Jasmine et moi passâmes quelques minutes à nous chamailler avant que Boo—lassé d’être laissé de côté—ne fonce sur nous, me renversant et donnant quelques coups de patte inoffensifs à Jasmine. Nous nous liguâmes contre la bête gardienne, luttant ensemble pour plaquer sa masse énorme au sol dans un tas haletant et riant.

« Hé ! Lâchez mon lien ! » La voix de ma sœur résonna dans la cour, nous faisant tous lever la tête.

Ellie et Tessia approchaient, accompagnées des trois Helstea dans une calèche tirée par des skitters. Les skitters s’écartèrent alors que Boo bondit vers eux, mais Ellie le rappela vite à l’ordre, sautant du côté du véhicule avec quelque chose caché derrière son dos.

J’aidai Jasmine à se relever, puis allai à la rencontre des autres.
« Vincent, Tabitha. Lil. Merci à tous d’avoir fait le voyage. »

Nous échangeâmes quelques mots sur leur trajet pendant qu’ils arrêtaient leur calèche devant la porte. Jameson, autrefois de la Maison de Vente Helstea mais désormais chef de mon personnel, se précipita pour accueillir les Helstea avant de conduire leur véhicule sur le côté de la maison pour y loger les skitters et décharger leurs affaires.

Devant ma nouvelle maison, Vincent poussa un long sifflement admiratif.
« J’ai vu les plans—un ami architecte à Xyrus m’a aidé à les dessiner, tu sais—mais je n’imaginais pas vraiment toute la grandeur du lieu. Ces asuras savent vraiment ce qu’ils font. » Il se pencha légèrement, me donnant un coup de coude.
« Peut-être pourrais-tu organiser une rencontre. Je vois bien des objets fabriqués par les asuras se vendre très cher à la Maison de Vente. »

« Père… » fit Lilia, d’un ton las.

La porte d’entrée s’ouvrit, et Maman sortit, rayonnante, pour accueillir les Helstea.
« Vous êtes là ! Comment s’est passé le voyage ? »

« Ça aurait été bien mieux si Tanner avait pu nous trouver quelques ailes-lames, » grogna Vincent.

« Père ! » répéta Lilia.
« Tu sais bien qu’il n’y a pas assez d’ailes-lames et de pilotes pour assurer le transport de loisir. »

Quiconque avait un lien avec une bête de mana volante—ou la capacité d’en piloter une sans lien—était très sollicité en ce moment. Le fait que les Helstea soient là tenait uniquement au flux constant de vols entre la surface et Xyrus. Pas étonnant qu’ils n’aient pas trouvé quelqu’un pour les emmener jusqu’au nord de Sapin.

« Ne fais pas attention à lui, » dit Tabitha en étreignant doucement ma mère.
« Le voyage était en fait très agréable. Cela faisait si longtemps que nous n’avions pas voyagé tranquillement, et voir tout le monde à travers Sapin travailler si dur… Il y a une vraie énergie, Alice. De l’espoir. »

En discutant joyeusement, Maman fit entrer les Helstea. Ellie nous rejoignit, laissant Boo ronger un gros os qu’elle avait ramené de la ville. Tessia passa un bras autour de ma taille et posa sa tête sur mon épaule, regardant à l’intérieur avec une pointe de nervosité.

« Ne t’inquiète pas, cette maison est assez grande pour que tu puisses disparaître si tu as besoin d’un moment à toi, » la taquinai-je.
« Et puis, Sylvie devrait bientôt revenir avec Virion. »

« Ce n’est pas la fête qui m’inquiète, » répondit-elle, glissant son bras sous le mien et me serrant fort.
« Je suis ravie de célébrer avec tout le monde. C’est ton anniversaire, après tout. Mais… après. »

Je savais ce qu’elle voulait dire. Les dernières semaines à simplement exister ensemble avaient été merveilleuses, mais le monde revenait à la charge. Virion—et tout son peuple, en réalité—avait besoin de lui à Elenoir. Les elfes peinaient encore à trouver des dirigeants. Ils travaillaient main dans la main avec le clan Asclepius, géraient les relations avec les réfugiés alacryens restés sur place, négociaient avec les équipes de travail naines, et même communiquaient avec les asuras d’Epheotus—les elfes avaient besoin de serviteurs publics et de leaders dévoués.

Je baissai les yeux vers Tessia, la gorge serrée. Sa première rencontre avec Mordain avait fait naître une amitié profonde, et il lui enseignait comme il l’avait fait autrefois avec l’Ancienne Rinia. Tessia n’était pas une voyante, mais Mordain était vraiment doué pour aider les jeunes mages à débloquer leur potentiel. Les réfugiés alacryens la respectaient déjà pour avoir survécu en tant que réceptacle de la réincarnation de Cecilia, et elle avait passé plus de temps avec les seigneurs nains que la plupart des elfes.

Et peut-être qu’elle ne s’en rendait pas pleinement compte, mais être la détentrice d’une perle de deuil… eh bien, les regards de toute la population asura se tournaient régulièrement vers elle, observant ce qu’elle accomplirait avec cette seconde chance. Veruhn avait même laissé entendre que la plupart la traiteraient en égale, comme si elle était une asura. Je me surpris à sourire. Quand nous serions mariés, elle deviendrait membre du clan Leywin. Une archon.

« Pourquoi tu souris comme ça ? » demanda-t-elle, levant les yeux vers moi, un sourcil haussé.
« L’idée que je parte pour Elenoir te rend si heureux que ça ? »

Je la soulevai dans mes bras, la faisant pousser un cri.
« Mon cœur se brise à cette idée, mais le monde a besoin de toi, Tessia Eralith. »

« Il a besoin de nous deux, » répliqua-t-elle en me pinçant le nez.

Même une maison aussi grande que le nouveau « Domaine Leywin » semblait déborder une fois tout le monde arrivé. Le bruit des conversations résonnait dans chaque recoin, et je réalisai qu’il n’y aurait peut-être nulle part où s’isoler, finalement.

Je m’étais retrouvé coincé dans la salle à manger, grignotant des noix entre Gideon et Wren, qui débattaient avec animation de plusieurs idées nées à la suite de ce qu’on appelait déjà la Confluence—la fusion de notre monde avec Epheotus.

« Arthur, tu écoutes ? » demanda soudain Gideon, me fixant de ses sourcils blancs épars.
« C’est passionnant, mon garçon ! »

« Je t’écoute, » répondis-je, détachant mon regard de Tessia, qui riait avec Lilia et Emily de l’autre côté de la pièce.
« Mon vieux concept de train à vapeur. Je m’en souviens. »

Wren me donna une tape.
« Avec les difficultés de navigation dans ce nouveau monde, ce système de ‘train’ pourrait être un grand égalisateur. »

« J’ai déjà développé ces premiers plans dont on avait parlé—c’était il y a quoi, dix ans ?—mais avec la guerre, ce n’était pas réaliste. Même sans guerre, il aurait fallu plus qu’une décennie pour tout mettre en place, mais maintenant— »

« Avec l’aide du clan Kain, nous pensons pouvoir finir les tunnels en quelques mois à peine ! » s’exclama Wren. Je ne me souvenais pas l’avoir déjà vu aussi enthousiaste… jamais.
« La construction des mécanismes eux-mêmes, en nombre suffisant pour relier toutes les grandes villes, prendra plus de temps. Mais la première ligne pourrait être opérationnelle dès que tout le réseau de tunnels sera creusé. »

« Et… qui a accepté ce projet ? » demandai-je, très curieux vu la situation politique tumultueuse de Dicathen.
« Ou qui le finance ? »

Gideon ricana.
« Les nains adorent l’idée. Plusieurs guildes ont déjà proposé d’en faire partie. Ils sont encore en train de voter pour ce nouveau… parlement qu’ils ont imaginé, mais une fois que ce sera réglé et qu’un nouveau roi sera choisi à travers leurs… épreuves—ou peu importe comment ils appellent ça—je ne doute pas qu’on aura leur soutien total. Sapin, par contre… »

Sapin avait été dirigé par un roi et une reine pendant des siècles, puis brièvement par le conseil Tri-union—composé des anciens rois et reines de Sapin, Darv et Elenoir, même si eux-mêmes répondaient surtout à Aldir. Les nains avaient été prompts à proposer, adopter et commencer à travailler sur une nouvelle forme de gouvernement pour Darv, mais le peuple de Sapin, jusqu’ici, avait eu plus de mal.

Kathyln et Curtis étaient, bien sûr, les héritiers du trône, mais ils avaient refusé de le réclamer. J’avais déjà reçu plusieurs lettres me demandant conseil et suggérant à peine subtilement que je devrais être roi de Sapin. Pas intéressé.

« Les Glayder ne veulent rien signer, affirmant qu’ils n’ont pas l’autorité tant que la direction de Sapin n’est pas définie, » dit Gideon, mi-incrédule, mi-agacé. Puis il éclata de rire.
« J’ai oublié de préciser : ils ont même dit que, comme ‘régent’, tu serais peut-être le mieux placé pour décider. Quand j’ai demandé un financement, le jeune Curtis s’est contenté de s’indigner. »

« Eh bien, tu as tout mon soutien, » plaisantai-je, avant de me raviser en me rappelant à qui je parlais.
« Gideon, ne pars pas d’ici en pensant m’utiliser pour forcer les choses. Je te soutiens, mais je ne suis ‘régent’ de rien, et si tu veux que ça marche, il faut passer par les bons canaux, comme tu l’as fait avec le Corps des Bêtes. »

Gideon grogna, s’affaissa sur sa chaise et se mit à mâcher bruyamment une poignée de grains de maïs frits.
« Pas sûr d’avoir entendu la fin… »

Wren, lui, haussa simplement les épaules.
« Un changement de direction comme ça prendrait cent ans à Epheotus. Je t’assure, mes pairs regardent Dicathen d’en haut, stupéfaits par la vitesse à laquelle vous avancez. »

« Eh bien, je n’ai pas dix mille ans pour bâtir ma vision, pas vrai ? » répliqua Gideon.

Wren le regarda sans émotion.
« Tu auras de la chance si tu tiens dix ans de plus avant que le stress ne t’achève. »

Les deux recommencèrent à se chamailler, mais je fus sauvé par l’arrivée de Sylvie.

« Arthur, il y a un invité inattendu. »

« Ah. Désolé, » dis-je aux deux inventeurs querelleurs.
« Le devoir m’appelle. » Puis, à voix basse pour Sylvie en nous éloignant :
« Merci. »

Elle se contenta de sourire en coin et de me lancer un regard complice avant de me guider à travers l’atrium jusqu’au bureau du rez-de-chaussée.

Un homme grand, athlétique, au crâne rasé, me tournait le dos en contemplant un portrait de mon père. Il portait la même tunique légère et ajustée et le même pantalon ample qu’il arborait presque toujours.

« Kordri, » dis-je, surpris. « Quand les autres sont arrivés, je pensais que c’était tous les asuras qui se joindraient à nous. »

Il se retourna, me scrutant de ses quatre yeux noisette avant de répondre.
« Je ne leur en veux pas de ne pas m’avoir demandé de descendre d’Epheotus pour l’occasion. À mes yeux, il ne me semble s’être écoulé qu’un instant depuis la dernière fois où nous avons célébré ton anniversaire ensemble. »

Je lui adressai un sourire en coin.
« Je ne suis pas sûr que ‘célébré’ soit le mot que tu cherches. »

Il haussa simplement les épaules.
« Après tout ce qui s’est passé, nous n’avons pas eu l’occasion de parler. »

Mon expression se fit plus grave, un pincement de regret me traversant pour la façon dont les choses s’étaient déroulées.
« Kordri. Je suis désolé pour Aldir. J’espère que tu sais que ce qui s’est passé… c’était son propre choix. »

Il croisa les bras et baissa les yeux vers les muscles saillants de ses bras.
« C’est étrange. Je ne peux pas t’en vouloir, Arthur. Je sais que tu n’as fait que ce qui était nécessaire. Tu as été plus juste envers les asuras que nous ne le méritions peut-être. Non, ce dont je voulais vraiment te parler… » Il releva les yeux, son regard perçant le mien.
« As-tu vu ou entendu quoi que ce soit de Myre depuis la Confluence ? »

« Il n’y avait aucune trace d’elle ni du corps de Kezess après, non, » répondis-je. Cette information avait déjà été transmise aux autres hauts seigneurs, bien sûr, mais il n’était pas surprenant qu’ils ne l’aient pas encore diffusée à leur peuple.

« Et sa volonté ? Tu ne ressens pas sa présence ? » Sa voix était devenue inhabituellement douce.

Je n’avais pas utilisé la volonté depuis la Confluence. Le seul lien magique qu’il me restait était celui avec Regis et Sylvie. Même ceux-là s’étaient un peu estompés.
« Non. »

« Je vois. » Il resta silencieux plusieurs secondes, puis :
« Cela m’a fait plaisir de te voir, Arthur, mais je crains que ma présence ici ne soit qu’une distraction pour ta fête. Viens me voir à Battle’s End. Ce serait un grand honneur de m’entraîner à nouveau avec toi. »

« Bien sûr. J’aimerais voir la Savane Céruléenne de près. Mais Kordri… » J’hésitai, puis me demandai pourquoi et poursuivis.
« Tu devrais rester. C’est important que les gens d’Epheotus et d’Alacrya se côtoient. Tu veux vraiment que leur seule impression des asuras soit Riven Kothan ? »

Les quatre yeux de Kordri clignèrent plusieurs fois, son visage impassible.
« Tu marques un point. Peut-être que je resterai, ne serait-ce que pour faire bonne impression sur tes autres invités. »

Riant, je le suivis dans l’atrium. Il continua vers la salle à manger, notant la voix de Wren Kain qui s’élevait, manifestement frustrée, mais je m’arrêtai un instant sous l’arbre, repassant la conversation dans mon esprit.

Du coin de l’œil, j’aperçus Ellie assise sur la première marche de l’escalier de l’atrium, les sourcils froncés.

Mon nom fut appelé d’une autre direction, et un petit groupe de visiteurs me fit signe, mais je leur demandai d’attendre une minute et allai m’asseoir à côté d’Ellie.
« Qu’est-ce qui te tracasse ? »

« Rien, » marmonna-t-elle. En s’entendant, elle se redressa.
« Je vais bien. C’est la fête d’anniversaire de mon grand frère ! Franchement, je m’éclate. »

« Je vois ça… »

Elle me jeta un regard en coin puis se tassa un peu.
« Je ne sais pas. C’est juste… » Elle fit un geste vague, comme pour chasser un insecte.
« Tout ? »

« Tu n’arrives pas à te détendre, » notai-je, repensant à ma conversation avec Kordri.
« Je comprends. Ce n’est pas facile de ralentir. Tu as lutté pour ta vie sans arrêt pendant des années. D’un coup, tu te retrouves dans cette vie ‘normale’, que tu ne te rappelles presque plus. Tu n’es pas encore sortie du mode survie. »

Elle me lança un regard surpris, puis esquissa un sourire gêné.
« Je ne savais pas que tu étais si philosophe, Haut Seigneur Leywin. »

Je roulai des yeux.
« Tu n’es pas la seule, El. Et je ne parle pas que de moi. En ce moment, des centaines de milliers de personnes traversent la même chose partout dans le monde. Même les asuras. Tout le monde essaie encore de comprendre ce que tout cela signifie. »

« Bien sûr, mais… » Elle hésita.
« Je ne suis pas prête à revenir à une vie ‘normale’, Art. » Je vis la peur dans ses yeux.
« Je ne veux pas que la partie importante de ma vie soit finie, et que maintenant ce soit juste… Je ne sais même pas. Promener Boo autour du lac et me faire servir ? M’entraîner à des compétences que je n’utiliserai plus jamais ? »

J’ouvris la bouche pour intervenir, mais elle me coupa.
« Non, écoute. Je ne veux pas qu’il y ait la guerre ou quoi que ce soit. Rien de tout ça. Mais j’ai vécu tant de choses, appris tant de capacités, et même obtenu cette arme que je ne peux même pas encore utiliser… Je sais juste qu’il y a encore tant de choses que je peux faire, mais j’ai déjà l’impression d’être enfermée. Genre, voilà, mon frère a sauvé le monde pendant que j’étais cachée dans un bunker extraplanaire, et maintenant c’est fini… »

Je lui tapotai la jambe avec bienveillance.
« El, tu es probablement l’adolescente la plus puissante du monde—un monde qui restera plein de problèmes. Et à cause de qui tu es, si tu veux intervenir et régler ces problèmes, je n’ai aucun doute que tu le pourras. Ce que tu dois vraiment te demander, ce n’est pas quoi faire maintenant, mais comment le faire. Comment utiliser ton pouvoir et ton influence de façon responsable. » Je la regardai sérieusement.
« C’est peut-être ce que Silverlight attend encore. Voir ce que tu vas devenir maintenant. »

Elle s’agita, se rongeant les ongles, sans répondre tout de suite.

Je savais que la question de Silverlight la travaillait encore, même si elle essayait d’être patiente.
« Tu sais, l’asura qui vient de passer, c’était Kordri Thyestes, le frère d’Aldir. Peut-être qu’il pourra t’en dire plus. Sur Silverlight. »

La tête d’Ellie se releva d’un coup, fixant la salle à manger.
« Vraiment ? Oui, peut-être. Ce serait… cool. »

« Ellie ? Où est passée cette fille ? »

Nous tournâmes la tête juste au moment où Naesia, fille de Novis Avignis, haut seigneur des phénix, surgit d’un couloir, cherchant autour d’elle. Ses yeux se posèrent sur moi et ma sœur et s’illuminèrent.
« Vous voilà ! Viens, Eleanor, j’ai encore des questions… »

Ellie mordit sa lèvre, amusée, plus détendue. Se penchant vers moi, elle souffla :
« Elle a un énorme béguin pour Chul et me pose plein de questions sur nos… rituels de cour. »

Je fronçai les sourcils.
« Et qu’est-ce que tu en sais, toi ? »

Elle me donna un coup de pied exprès avant de passer un bras sous celui de Naesia, toutes pensées de Kordri et Silverlight momentanément chassées, puis ma sœur et l’asura sortirent par la porte. Je savais que Chul était dehors à jouer à un sport asura brutal avec quelques autres invités, dont Riven Kothan et Mica.

Mais penser à ceux qui étaient là me ramena inévitablement à ceux qui ne l’étaient pas. Les Glayder n’avaient pas pu quitter Etistin pour faire le long voyage vers l’est. Il en allait de même pour tous mes amis alacryens ; sans téléportation entre les continents, sauf par les portails profonds des Relictombs, nous dépendions presque entièrement de longs voyages en bateau à vapeur ou de vols risqués. Quelques membres du clan de Mordain avaient accepté de transporter des gens pour des raisons nécessaires—comme la réunion des dirigeants du monde—mais je ne considérais pas mon anniversaire comme une raison suffisante pour faire traverser l’océan à Caera ou à d’autres sur le dos d’un phénix.

L’absence prolongée de Regis était à la fois inquiétante et décevante, mais j’avais dû m’habituer à sa nouvelle liberté ces dernières semaines. Il était parti presque sans un mot, disant qu’il avait quelque chose d’important à faire sans me dire quoi, et je n’avais pas eu la moindre nouvelle de lui depuis.

Surtout, je me surprenais à penser à mon père. Le revoir, entendre sa voix, avait rouvert quelque chose en moi. Maintenant que la guerre était enfin terminée, son absence me pesait plus distinctement. Je savais que, s’il avait été là, il serait dehors à affronter sans peur Chul et Riven, sa nature compétitive l’empêchant de reculer même face à des divinités. Il aurait adoré cette maison, mais plus encore, il aurait adoré la voir remplie de tant d’amis et de proches.

Maman passa, discutant avec Vanesy Glory, Claire Bladeheart et Tabitha. J’entendis quelque chose à propos de leur faire visiter les jardins, et Vanesy croisa mon regard, haussant les sourcils comme pour dire « Pas mal, gamin. » Claire, suivant le regard de Vanesy, me fit un salut militaire que je lui rendis plus négligemment, puis elles sortirent, la voix de Maman s’évanouissant rapidement dans le brouhaha général.

Des pas résonnèrent dans l’escalier derrière moi, et Varay prit la place d’Ellie. Elle avait recommencé à laisser pousser ses cheveux, et elle paraissait presque une autre personne dans une tunique fluide et un pantalon décontracté.

« Ça fait réfléchir, non ? » demandai-je, m’appuyant sur les coudes.
« Quoi donc ? » répondit-elle, faisant tourner un verre dans la glace.

« Ce qui se serait passé si tu avais laissé Bairon me tuer ce jour-là. »

Le tintement de la glace s’arrêta.
« Je ne peux pas dire que j’y ai beaucoup pensé. Ça fait très longtemps que tu n’es plus ce garçon. Ou peut-être que tu ne l’as jamais été. »

« Bref, je suis content que tu sois là. Je voulais te dire… » Je me frottai la nuque, grimaçant.
« Je voulais m’excuser. D’avoir trompé tout le monde, quand j’ai dû entrer dans la dernière clé de voûte djinn. Je pensais que c’était la seule solution. »

Son expression ne changea pas.
« Ce n’est pas la peine. Tu as fait ce que tu pensais nécessaire, et ça a marché. L’ennemi et mes erreurs ont failli me tuer… Mais c’est ce qui arrive en temps de guerre. Au final, j’ai survécu, et j’ai Intégré, et ça valait le prix de frôler la mort. »

« Et maintenant que tu as atteint le stade d’Intégration, que vas-tu faire ? »

Un léger sourire releva les lèvres de Varay.
« Curtis Glayder m’a demandé de rester comme leur Lance jusqu’à ce que Sapin décide de sa nouvelle direction. Mais Vanesy Glory m’a aussi approchée pour rouvrir l’Académie de Xyrus. Elle veut que j’enseigne l’Intégration aux élèves avancés. » Elle haussa les épaules, un geste très peu Varay.
« Quand je luttais avec mon Intégration, c’est Tessia qui m’a soutenue. Je pensais passer du temps avec elle maintenant, pour la guider sur ce chemin. Je suis convaincue qu’elle peut atteindre l’Intégration avec du temps et des efforts. »

« Et alors, quelqu’un de chaque race aurait atteint l’Intégration, » dis-je lentement, suivant son raisonnement.

« D’après mon expérience, la paix est plus facile à maintenir quand tous les camps sont égaux en puissance, » dit-elle, même si ses yeux dérivèrent vers le plafond. Je savais qu’elle ne regardait pas le toit incurvé de l’atrium, mais les Anneaux d’Epheotus au-delà.
« Du moins, ici-bas, en tout cas. »

« Professeur Varay… » dis-je, feignant de réfléchir au titre.
« Toujours à me courir après. »

Son poing de glace me frappa l’épaule, mais pas assez fort pour faire mal.

Je ris.
« Ton aide serait précieuse pour elle, » repris-je, ramenant la conversation sur Tessia.
« Elle n’en parle pas beaucoup, mais la perte du pouvoir de l’Héritage—pas la force, mais la façon dont elle percevait et ressentait le mana—a laissé un vide en elle. Elle le mérite—et les elfes en ont besoin—si l’Intégration peut être atteinte… » Je m’interrompis, songeant à tout ce qui pourrait changer si Tessia atteignait l’Intégration.

« Arthur ? »

Je relevai les yeux vers le visage inquiet de Varay et réalisai que je devais froncer les sourcils.
« Désolé. Ce n’est… rien. »

Le regard qu’elle me lança était perçant.
« Je n’appellerais pas ce que tu traverses ‘rien’. Tu penses qu’il est possible que tu atteignes une sorte de stade d’Intégration, toi aussi ? »

J’hésitai à répondre. Je pouvais tourner la chose pour lui donner de l’espoir et me protéger, comme je l’avais fait avec tous les autres, sauf ma famille. Mais Varay, pensais-je, méritait de savoir. Après moi, elle était probablement la plus forte guerrière et mage de Dicathen ou d’Alacrya. Peu importe ce que l’avenir réservait, Varay jouerait un rôle clé dans sa construction.

« Non, » répondis-je à voix basse, pour que notre conversation se perde dans le bruit ambiant.
« Quand le dernier de mon pouvoir sera épuisé, mon noyau éthérique se brisera, et les fragments de mon noyau de mana seront réabsorbés dans mon corps. Ma magie disparaîtra. »

Elle acquiesça en m’écoutant, sans pitié, sans chercher à me consoler.
« Et ces ‘godrunes’ et schémas de sorts ? »

Je secouai légèrement la tête.
« Sans accès au mana ou à l’éther, ils deviendront inertes. »

« Et tu en es certain ? »

Je grimaçai dans un sourire douloureux.
« Oui, j’en suis sûr. »

Elle se leva, se tourna brusquement vers moi et s’inclina profondément. Je balai l’atrium et les couloirs du regard, nerveux, mais l’espace d’un instant, nous étions seuls.
« Ton sacrifice ne sera donc pas vain, Arthur. Toi et les tiens serez toujours protégés, et ceux d’entre nous qui en ont le pouvoir ne cesseront jamais de travailler pour réaliser ta vision. »

Je me levai, riant, alors que Varay se redressait.
« Pas besoin d’être si formelle. Et puis, je n’ai jamais dit que je serais impuissant et à protéger. » Je lui lançai un sourire malicieux, mais avant qu’elle ne puisse répondre, on frappa à la porte d’entrée.

Les portes étaient ouvertes, et trois personnes que je ne reconnus pas immédiatement se tenaient là. En traversant la pièce, j’ouvris la bouche pour les saluer quand la reconnaissance me frappa enfin. En tête se trouvait un homme que je ne pouvais décrire que comme petit, avec des cheveux blonds et des yeux bleu vif, l’air extrêmement nerveux. Derrière lui se tenaient une femme petite et athlétique, et un très grand guerrier à l’allure robuste, les cheveux en bataille et mal coiffés.

« Stannard ! Caria, Darvus… » Je m’arrêtai en arrivant à la porte, les yeux écarquillés de surprise.
« Que faites-vous ici ? »

Ils échangèrent un regard soulagé.
« Arthur Leywin. Heureux d’avoir trouvé le bon endroit alors. »

« Difficile de se tromper, » marmonna Caria derrière lui.

« Nous… avions entendu dire que Tessia Eralith vivait ici ? » reprit Stannard, de nouveau nerveux.

Mon sourire, qui s’était formé brièvement, s’effaça alors que la nature du départ de Tessia de son ancien groupe refaisait surface à travers le brouillard de la mémoire.
« C’est le cas. Et arrêtez de vous inquiéter. Elle va être folle de joie de vous voir. »

Mes mots semblèrent les apaiser, chacun à sa façon. J’allais appeler Tessia quand elle déboula du salon. Son visage s’illumina en voyant son ancien groupe, et ses yeux se remplirent de larmes.

Elle se précipita vers la porte mais s’arrêta juste avant de se jeter dans une étreinte collective. Caria, elle, passa devant Stannard et serra Tessia dans ses bras, la soulevant du sol et la serrant fort.

Les trois rirent et commencèrent à bavarder avec excitation tandis que Tessia les invitait à entrer, les entraînant dans le salon pour discuter et rattraper le temps perdu. Elle me lança un regard reconnaissant par-dessus l’épaule de Caria, se mordant la lèvre puis m’envoyant un baiser, que je fis mine d’attraper et de presser contre mon cœur.

« Ah, c’est un bon geste. J’aime beaucoup, et je vais devoir m’en souvenir. »

Je sursautai et me retournai pour voir Chul qui venait d’arriver en trottinant jusqu’à la porte.
« Quoi ? »
« Ce geste du baiser soufflé et attrapé. J’ai du mal à savoir comment aborder Naesia et lui exprimer mes sentiments, et j’aime bien ce geste. Tu devras m’en montrer d’autres pour courtiser Lady Avignis, mon frère en romance. »

Je sentis mes joues rougir malgré moi, cherchant mes mots. Heureusement, je fus sauvé par un éclair de lumière violette dans le ciel qui fit reculer Chul de quelques pas en s’exclamant bruyamment.

Regis, sous la forme d’un immense loup d’ombre aux ailes de feu éclatant, atterrit gracieusement à une vingtaine de mètres. Il avait une passagère, qui glissa de son dos, les jambes flageolantes en touchant le sol. Avant de se tourner vers nous, elle essaya de remettre en place ses cheveux bleu marine ébouriffés et de lisser sa tenue de voyage gris foncé.

« Présentant Lady Caera Denoir, du Dominion Central, Alacrya, » annonça Regis d’un ton exagérément noble.

Caera le frappa sur le flanc, puis se tourna enfin vers nous.

« Surprise ? »

« Oui ! » s’exclama Chul, accourant pour mettre Regis en prise de tête et serrer Caera dans une étreinte latérale.
« Juste à temps pour jouer au ‘scrum’ avec nous ! C’est un jeu merveilleusement violent et stimulant. Avec vous deux et Arthur— »

« Oh non, tu ne vas pas faire ça ! » La voix de ma mère coupa net alors qu’elle apparaissait derrière moi dans l’atrium, sans doute revenue du jardin.
« C’est l’anniversaire d’Arthur, et c’est l’heure du gâteau et des cadeaux ! Chul, va chercher les autres pour les ramener à la maison. »

« Oui, Lady Leywin ! » répondit-il avec un sérieux militaire, puis repartit en courant.

« Bon retour, Regis, et bien sûr, Caera, toi aussi. Je suis ravie qu’il ait pu t’amener à temps. »

« Maman, » dis-je d’un ton suppliant, passant un bras autour de ses épaules.
« J’ai genre, un demi-million d’années maintenant. Je pense que j’ai dépassé l’âge du gâteau et des cadeaux d’anniversaire. »

« N’importe quoi, » répliqua Maman avec bonne humeur.
« Tu restes mon petit garçon, même si tu as vécu mille vies. Et puis, ça fait des années qu’on n’a pas fêté ton anniversaire comme il faut. Ne fais pas d’histoires ou je demanderai à Chul et Mica de t’attacher à une chaise pendant qu’on te chante ‘Joyeux Anniversaire’ et qu’on te lance du gâteau au visage. »

« Oui, Arthur, ne fais pas d’histoires ! » plaisanta Caera, s’approchant et faisant une révérence à ma mère.
« Alice. J’ai été honorée de recevoir ton invitation, même si je dois dire que le mode de transport laissait à désirer. »

« Hé ! » grogna Regis, repliant ses ailes. Il la poussa du museau.
« J’ai trouvé le voyage très sympa, moi. »

Elle se pencha vers moi.
« Oui, parce qu’il n’arrêtait pas de simuler des ‘turbulences’, comme il disait, pour que je m’accroche encore plus fort. »

Je ris, sentant la chaleur se répandre dans tout mon corps.
« Il est encore amer à cause de l’histoire du nom. »

« ‘Trio Cornu’ était un super nom, » répliqua-t-il en entrant dans la maison.

Caera leva les yeux au ciel.
« On a beaucoup à rattraper, Arthur. On a opté pour un système où chaque zone locale élit un représentant, et tous ces représentants se réunissent pour élire ce qu’on appelle un ‘président’. J’aimerais vraiment avoir ton avis là-dessus. »

« Bien sûr, » répondis-je, sans réussir à masquer mon amusement.

« Allez, allez, » dit Maman en me tirant à l’intérieur derrière Caera.
« Pourquoi suis-je plus excitée que toi ? »

Je me frottai la nuque en baissant les yeux vers le visage de Maman, remarquant ses joues rouges, ses yeux flous et son verre à moitié vide.
« Je crois que je sais pourquoi. Mais… merci. Pour tout. »

Elle me prit par le bras et m’entraîna vers la salle à manger.
« De rien, Arthur. Mais c’est juste ce que les mères sont censées faire, non ? Je t’aime. »

« Moi aussi, Maman. »


Si vous souhaitez me soutenir : https://www.patreon.com/c/YchTD . Un grand merci pour vos commentaires et votre précieux soutien.

Commentaire

4.9 14 votes
Note
S’abonner
Notification pour
2 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
David SilverCore
2 mois il y a

can they bring a pearl from a treasury or something to restore his core?its a real shame for him to be powerless in end, tho it is poetic

Leit Leit
2 mois il y a

La fin et pas marquante mais elle et bien
Propre

Options

ne fonctionne pas avec le mode sombre
Réinitialiser