Le troisième rune fit monter le mana corrompu vers le haut. L’Etoile Noire trembla et de petites fissures apparurent à sa surface. C’est alors que Lith cessa de psalmodier. L’encre sur le sol devint grise avant de disparaître.
L’interruption d’un sort n’était pas différente d’un lancement raté. Le mana encore présent dans le liquide n’avait plus de direction, il se retournait contre son hôte en le brûlant de l’intérieur. Lith chanta à nouveau le sort de gel, renouvelant le sceau et écrasant d’un seul coup la confiance de l’Étoile Noire.
“Tu n’es pas un Kadurien. Si tu meurs, tu ne pourras pas revenir en arrière. Dis-moi ce que je veux savoir ou tu seras condamné à l’oubli.”
Il fallut un certain temps pour que les mots de Lith s’imprègnent dans l’esprit choqué de l’artefact. Elle avait toujours été le prédateur suprême. Dans la petite cage où elle vivait depuis des siècles, l’Étoile Noire était une existence sans pareille.
Les humains vivaient ou mouraient au gré de ses caprices. Elle ne connaissait pas la peur. Rien ne pouvait la blesser, même les Rangers n’étaient qu’un petit obstacle. Ils pouvaient retarder ses plans, mais rien de plus. L’Étoile Noire réalisait peu à peu la trahison des clercs, qui avaient fait de son propre corps un ennemi.
Lith étala l’encre une seconde fois, laissant la quatrième rune étendre les fissures jusqu’à ce qu’elles se rejoignent presque entre elles avant de s’arrêter. Le jeune mage se dégoûtait de ce qu’il faisait, mais il sentait qu’il n’avait pas le choix.
Parler avant de tuer le monstre devant lui était contraire à son code. Tuer d’abord, poser des questions ensuite. C’était sa façon de travailler. Tout autre plan d’action impliquait trop de dangers, surtout face à un être qui pouvait le tuer d’une simple pensée.
Pourtant, il n’avait jamais été aussi près de trouver une solution à ses problèmes.
‘Je veux être le seul maître de mon destin. Depuis ma mort sur Terre, je suis une marionnette entre les mains de quelqu’un d’autre. Je suis fatigué de comploter, de mentir à tous ceux que j’aime, pour survivre chaque jour au lieu de vivre.’
‘J’en ai assez de craindre le moment où tout ce pour quoi j’ai travaillé si dur me sera arraché des mains par un événement aléatoire. Plus de Carl, plus de Yurial. Si je peux enfin protéger ce qui m’appartient, je suis pret à payer n’importe quel prix.’
La détermination de Lith éclipsait sa peur, mettant même sa paranoïa en très courte laisse. Il attendit que les fissures de l’étoile noire commencent à se réparer avant de lancer les deux sorts une troisième fois.
L’artefact sortit de sa torpeur. Sa haine se transforma en peur, puis en panique.
“Si tu me tues, tous les Kaduriens mourront avec moi.” Essaya l’Etoile Noir dans un dernier pari désespéré. “Une civilisation entière va disparaître. Leur sang sera sur tes mains !”
L’Étoile Noire avait entendu les clercs répéter ces mots tant de fois. Ils étaient forcément importants pour les humains.
Lith laissa la cinquième et la sixième rune transformer les fissures en petites crevasses avant de s’arrêter. Une énorme quantité de mana jaillit des blessures tandis que toute la ville tremblait. L’une des flaques noires au sol se transforma en une étoile filante qui s’élança vers le haut et traversa le plafond.
Lith pouvait voir par la fenêtre plusieurs lumières s’élever vers le ciel.
“Je me moque d’une civilisation morte faite de morts. Ce que tu leur donne n’est pas la vie, mais une caricature de la vie. Tu leur as enlevé leur liberté, leurs espoirs, leur avenir, pour ne leur laisser que la peur et la misère.”
“As-tu une idée de ce que signifie le fait de souffrir autant pour souhaiter la mort et de se la voir refuser ? D’être obligé de vivre son pire cauchemar encore et encore ?” La voix de Lith tremblait de rage. Solus savait qu’il ne parlait plus seulement des Kaduriens.
“Et moi, alors ?” répondit l’Étoile Noire lorsque Lith reprit son chant. “Qu’en est-il de ma douleur, de mon avenir ? Qu’est-ce qui te différencie de moi ?”
“Une seule chose. Je ne tue jamais ma proie plus d’une fois.” Les runes s’infiltrèrent dans le corps de l’artefact, élargissant les fissures et provoquant une nouvelle explosion d’étoiles filantes.
“Assez ! Je t’en supplie !” L’Étoile Noire sentait les dégâts se rapprocher de son noyau de mana. Pour ne rien arranger, elle perdait le contrôle d’un nombre croissant de Kaduriens. La perte était encore négligeable, mais elle ralentissait ses plans.
“Le secret réside dans mon corps cristallin. C’est seulement grâce à lui que je peux le faire.”
Ces mots suffirent à arrêter le chant de Lith à la troisième rune.
“Qu’est-ce que tu veux dire ? Explique-toi.”
“Au lieu d’utiliser le cristal de mana pour alimenter mes capacités, les humains l’ont utilisé pour stocker ma conscience et mes pouvoirs. Ce fut leur première erreur.” dit l’objet maudit en se concentrant sur la guérison de ses blessures.
“Leur sort était destiné à m’utiliser comme réserve d’énergie pour leurs besoins. Ils m’ont lié à cette ville en utilisant le geyser de mana qui se trouve en dessous et le réseau de cristaux au-dessus des toits comme seul moyen de me nourrir.”
“Ils pensaient que je serai leur outil, distribuant les énergies collectées dans leurs rangs. Ils ne se doutaient pas que ce corps possédait la capacité de manipuler le mana à volonté.”
“Avec ce pouvoir, j’ai parcourue le nord pour punir nos ennemis. Après avoir tué les envahisseurs, j’ai purgé notre glorieux pays des hérétiques et des incroyants. Ils m’ont combattu de toutes leurs forces, même le soi-disant grand clerc du Grand Soleil a essayé de m’arrêter, disant que ce n’était pas à moi de rendre la justice.”
“Pourtant, j’étais plus forte qu’eux tous réunis. Malheureusement, loin du geyser de mana, mes réserves ont commencé à diminuer. Poursuivi sans relâche par mes ennemis, j’ai été contrainte de me replier ici et de recréer les flèches pour me nourrir à nouveau.”
“Avant que je puisse me rétablir, ils ont entouré Kaduria de cette barrière, me coupant du geyser. Jusqu’à ce que je découvre qu’en restaurant les humains, je pouvais faire passer l’énergie du monde à travers la barrière et l’utiliser pour retrouver ma liberté.”
“Et les Ombres ? Qu’est-ce que c’est ?” demanda Lith.
“Je n’étais pas lié à l’esprit des humains, je ne peux donc pas les assimiler. Je ne sais pas comment ils peuvent survivre sans corps et je m’en fiche. Ils ne font que se plaindre et se désespérer. Ils me sont inutiles.”
“Tout comme tu l’es pour moi.” Lith répondit avant de psalmodier pour la dernière fois.
‘Malheureusement, même si je pouvais reproduire l’étoile noire, je ne pourrais pas l’utiliser. Lier mon esprit, mon corps et mon cœur de mana à un cristal magique ne sert à rien s’il n’a pas une conscience prête à me réanimer.’ pensa Lith.
‘Je ne peux pas confier ma vie à un objet maudit. Je finirais comme les Kaduriens, voire pire.’
Lith venait de finir de lancer le sort de gel, lorsque Solus l’avertit :
‘Attention, quelqu’un s’approche du temple principal.’
‘Les soldats ne portent que des armes normales, ils ne peuvent pas me blesser.’ Répondit Lith.
‘Ce n’est pas un soldat. Il est sur le point de voler à travers la fenêtre. Pour pouvoir utiliser la magie, il doivent venir du monde extérieur.’
“Me lier à leurs corps, à leurs noyaux, à chaque brique de cette ville a été leur deuxième erreur. Selon leur plan, je ne pouvais que donner, mais grâce au cristal, je l’ai transformé en un chemin à double sens. Au lieu d’être leur nounou, j’ai pris tout ce qu’ils avaient.”
“J’ai collecté leurs forces vitales et leurs noyaux de mana, les utilisant comme ils voulaient m’utiliser. Je considère que c’est de la justice poétique.”
‘Tout comme un chaman orc est capable d’aspirer l’énergie du monde.’ Pensa Lith. ‘L’Étoile Noire ne peut probablement pas faire de même, sinon elle n’aurait pas besoin de passer de la phase de lumière à celle d’ombre’.