THE MAN DROWNED IN HATRED – CHAPITRE 8

S'échapper de ceux qui l'ont accepté

L’obscurité n’avait pas quitté la chambre, mais ses paupières s’étaient ouvertes d’elles-mêmes.

 

Il n’avait pas fait de cauchemar, il n’entendit pas la voix et ne vit pas la lumière. Il resta éveillé après tout, l’angoisse constante qu’il ressentait l’empêcha de dormir.

 

Shinji était assis sur son lit, raide, le dos collé au mur. Il s’était retrouvé dans un état de somnolence où chaque bruit dans le couloir le ramenait à l’état d’alerte.

 

Ses mains se mirent à trembler, les mots qu’il avait entendus la veille tournaient encore dans sa tête comme un poison lent.

 

Cette conversation qu’il entendit en cachette n’avaient pas quitté ses pensées. Ce refuge… était fait pour ceux qui comme lui, ne venait pas de ce monde et pourtant, il ne se sentit jamais aussi seul, jamais aussi coupable. Et si les Zephyr l’avaient suivi ? Il n’accepta l’idée qu’il puisse mener ce refuge qui l’avait sauvé de la terreur de ce monde à sa perte.

 

Il ne s’était jamais senti aussi tourmenté. Il avait cru que ce lieu était un havre où il pourrait enfin trouver la paix. Une exception dans un monde pourri. Mais maintenant… il ne pouvait plus rester là.

 

Son esprit serait plus tranquille dehors entouré de serpents sous forme humaine que de risquer causer la chute de l’espoir qui permettait à ces personnes qui arrivaient à sourire malgré leur malheur.

 

Il se leva sans bruit, évitant même de respirer trop fort. Il ne pouvait pas se permettre de réveiller le reste du refuge.

 

Chaque pas sur le sol grinçant lui faisait l’effet d’une trahison.

 

Il s’approcha de la petite armoire qui se trouvait en face du lit et en sortit un vieux tissu beige, râpé, suffisamment large pour le recouvrir en marchant.

 

Il l’enroula autour de lui et lorsqu’il se retourna alors qu’il sortait de la pièce, il croisa une dernière fois le regard de Neko.

 

Le chat n’avait pas bougé de son coin. Mais dans l’ombre, ses yeux brillaient. Fixes. Intenses. Un éclat que Shinji avait vu auparavant.

 

Un regard identique, il s’en rappela dans la cave du boucher. Ce regard… c’était le même que celui qui lui faisait face. Plusieurs questions lui vinrent mais il savait qu’il ne ferait que perdre du temps à essayer de leur trouver une réponse.

 

Shinji frissonna. Il se força à soutenir le regard du chat et murmura :

 

— T’es mieux ici que là-dehors avec moi.

 

Neko ne bougea pas. Il resta là, silencieux, dans le coin de la salle où il restait, toujours presque figé, à attendre le retour de Shinji, chaque fois qu’il quittait la pièce.

 

Shinji détourna les yeux et finit par ouvrir la porte pour sortir de la salle et sans un bruit, il disparut dans les couloirs endormis du refuge.

 

Shinji marcha à pas légers, beaucoup trop légers.

 

Ses pas étaient à peine audibles, comme s’il craignait de réveiller quelque chose de plus dangereux que les cris de la ruelle. Le bois sous ses pieds grinçait par moments, mais personne ne réagissait. Personne ne venait.

 

Il traversa les dortoirs.

 

Dans la pénombre, il vit des corps étendus, paisibles, bercés par le souffle lent du sommeil. Des enfants emmitouflés sous des couvertures rapiécées. Des femmes assises contre les murs, endormies en position assise. Des vieillards respirants à peine, les bras croisés sur la poitrine.

 

Et pourtant… ils dormaient.

 

Ils dormaient, dans ce monde qui n’avait rien d’un rêve. Ce monde où Shinji n’arriva pas à trouver sa place et où son passé semblait sans cesse le rattraper, un passé qu’il oublia bien que ses vestiges sont toujours présents dans ce monde.

 

Shinji s’arrêta un instant, le cœur serré.

 

Comment pouvaient-ils encore fermer les yeux ? Comment faisaient-ils pour s’abandonner au sommeil dans un endroit pareil ? Après ce qu’il avait vu… après ce qu’il avait vécu ?

 

Il porta une main tremblante à son torse, là où sa cicatrice le picotait sous les vêtements.

 

Il avait l’impression d’être le seul à se sentir seul, à avoir encore peur.

 

Il serra les dents et reprit sa route. Il finit par descendre les escaliers qu’Okami et Daichi avait emprunté hier soir.

 

Il se retrouva devant les grandes portes du refuge. Elles n’étaient pas verrouillées. Juste tirées. Comme si le monde extérieur n’était pas si dangereux… ou comme si personne ici n’osait jamais les franchir.

 

Shinji posa la main sur le bois.

 

Dehors, un vent glacial soufflait.

 

Il jeta un dernier regard en arrière.

 

Il allait quitter le seul endroit où il fut accepté pour marcher seul vers l’enfer qui se trouvait derrière cette porte.

 

Le tissu sur sa tête ne tenait qu’à peine. Il avait enroulé le morceau de toile rêche autour de son visage pour masquer ses traits, mais il savait que c’était dérisoire.

 

Dès qu’il mit un pied hors du refuge, il se mit à courir.

 

Comme si ses propres pas allaient le trahir, comme si le monde entier s’était mis à l’observer depuis les ombres.

 

Il passa à travers les ruelles de la ville, tous aussi étroites que celle où il s’était réveillé. Elles étaient déjà sinistres en plein jour mais paraissaient encore plus oppressantes à l’aube. Les premiers rayons du soleil ne chassaient pas l’obscurité : ils ne faisaient que la rendre plus visible.

 

Il descendit en direction du marché, ce même marché où il avait failli mourir. Où les Zephyr l’avaient vu. Où il avait trahi une enfant sans défense.

 

Il baissa la tête, serra les pans du tissu contre son visage.

 

Mais ça ne suffit pas. À peine avait-il mis un pied dans la grande allée du marché qu’il les entendit.

 

— C’est lui… C’est le gars que les Zephyr cherchent.

 

Un frisson le traversa.

 

Il accéléra le pas.

 

— Qu’est-ce qui lui prend de se montrer en plein jour ?

 

— Il cherche la mort ou quoi ?

 

— Il veut tous nous foutre dans la merde…

 

Les regards se posaient sur lui, acérés comme des lames. Ils ne criaient pas mais il les ressentit au plus profond de lui.

 

Il tenta de se convaincre que ce n’était que son imagination mais il les entendait clairement, les personnes qui se trouvait au marché l’avait reconnu.

 

Son sang se glaça.

 

Il se remit à courir, plus vite encore, bousculant des cageots, traversant les allées comme une ombre affolée. Des enfants s’écartèrent en silence. Des marchands détournèrent les yeux.

 

Personne ne l’arrêta. Mais personne ne l’aida non plus.

 

Il était seul, livré à lui-même.

 

Shinji courut jusqu’à ce que ses jambes ne puissent plus le porter.

 

Son souffle était saccadé, sa gorge sèche comme du sable. Il avait dépassé le marché, traversé plusieurs autres ruelles inconnues, escaladé des barrières, pris des chemins que même les rats évitaient.

 

Et finalement… il trouva un pont.

 

Le pont était vieux. Usé. Ses piliers lépreux ployaient sous le poids des années, et l’eau sale qui coulait en contrebas semblait s’écouler au ralenti, comme si elle elle-même peinait à fuir ce monde.

 

Shinji s’y glissa sans réfléchir. Son dos toucha la paroi froide et humide, et il s’écroula, le souffle court, le cœur affolé.

 

Là-dessous, même les murmures de la ville semblaient étouffés. Le silence avait une texture étrange, comme si chaque goutte d’eau, chaque bruissement d’aile était amplifié.

 

Il ne bougea pas. Il ne voulait pas faire de bruit. Même respirer lui semblait risqué.

 

“Si je ferme les yeux, je meurs.”

 

C’était une certitude. Pas une pensée paranoïaque — une vérité gravée dans ses os.

 

Ses doigts s’étaient crispés autour du tissu qui cachait encore son visage. Il n’en voulait pas. Il voulait arracher ce masque dérisoire. Mais il ne pouvait pas. Il fallait qu’il reste caché. Encore un peu. Juste jusqu’au matin.

 

Mais la nuit… était longue.

 

Et son corps trahissait sa volonté.

 

La fatigue le rongeait de l’intérieur. Une lourdeur dans ses bras. Une brûlure dans ses paupières. Il clignait des yeux plus lentement, de plus en plus lentement.

 

Il sursauta au moindre bruit. Un caillou déplacé. Un oiseau qui s’envole. Une goutte d’eau qui tombe.

 

“Ils sont là.”

 

“Ils me cherchent.”

 

Le visage de Ryouma et Hayato était encore gravés dans sa mémoire, il se rappela de ce semblant de soulagement qu’il ressentit lorsqu’ils l’avaient sauvé des mains du boucher avant qu’il ne révèlent eux aussi leurs vrais visages.

 

Ils voulaient de lui ce qu’il n’avait plus ou qu’il n’avait peut-être jamais eu. Des réponses qui les satisferait, des réponses qui leur prouveront qu’il est bel et bien le monstre qu’ils avaient façonné dans leur esprit.

 

— Qu’est ce qu’ils me veulent tous ? Pourquoi…moi ?

 

Il commença à s’imaginer les Zephyr en train de fouiller la ville, leurs yeux injectés de sang, leur rage intacte. Peut-être qu’ils interrogeaient les marchands. Peut-être qu’un de ces passants les avait déjà prévenus.

 

“Et s’ils sont en route ?”

 

Son souffle se fit plus court. Plus bruyant. Il colla une main contre sa bouche.

 

Il n’avait déjà plus d’énergie à sa disposition. L’adrénaline ne faisait plus effet et la fatigue qu’il avait cumulé commença à se montrer sur ses mouvements qui lui était de plus en plus difficile à exécuter.

 

Il se balançait légèrement d’avant en arrière. Un tic nerveux. Une façon de ne pas s’effondrer. Une supplique muette à son propre corps pour qu’il tienne encore un peu.

 

Puis, sans s’en rendre compte, il commença à parler à voix basse. Comme pour combler le silence.

 

— Faut pas dormir… faut pas… pas maintenant…

 

Ses mots se perdaient dans le vent qui passait sous le pont.

 

Ses paupières se refermaient. Ses pensées devenaient brumeuses. Il revoyait Haruka. Neko. La lame. L’épée d’Okami sur son cou. Il entendait même les rires des Zephyr. Les cris de la jeune fille et les aboiements des chiens du boucher.

 

“Juste cinq minutes.”

 

Il commença à avoir le vertige, il sentit une forte douleur à la tête qui semblait chercher à le noyer dans un sommeil profond.

 

“Non. Réveille-toi. Réveille-toi !”

 

Il se gifla doucement. Le bruit était minuscule, mais dans ce silence, il claqua comme un coup de feu.

 

Son cœur repartit. Il rouvrit grand les yeux, enfin autant que son corps put les ouvrir avec le peu d’énergie qui lui restait.

 

Mais ce n’était plus la peur qui le maintenait éveillé.

 

C’était une présence.

 

Quelqu’un le regardait.

 

Il ne bougea pas. Il n’osa pas.

 

Puis, une voix. Râpeuse. Faible.

 

Mais claire.

 

— Toi…

 

Shinji leva les yeux, lentement.

 

[Activation du Troisième Œil]

 

— Qu’est-ce que…

 

La silhouette était là, à quelques mètres. Immobile. Les bras le long du corps. Le regard fixé sur lui.

 

[Le suspect a de mauvaises intentions]

 

[Le suspect cherche à tuer l’hôte]

 

[Le suspect envie l’hôte]

 

— C’est toi… qui m’as tué.

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